Nos enfants n’appartiennent pas à l’état

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Vendredi 2 octobre, 14h, je sors de mon cours de danse. Je suis bien et détendue après 1h30 de travail, de concentration et de plaisir. Le choc en est d’autant plus rude, un coup de poing dans le ventre, un mur invisible dressé devant moi qui me donne le sentiment de ne plus pouvoir avancer. Je viens de rallumer mon téléphone portable et une volée de messages me sautent à la figure. Mais enfin ? Que se passe-t-il ? Pourquoi si soudainement tout le monde m’écrit ? On pense à moi, on me demande comment je vais, ce que je compte faire, comme je vais réagir à l’annonce de Macron... Mais quelle annonce ? … La fin possible de l’IEF apparemment. Mais comment est-ce possible ?

Arrivée chez moi je lis en entier le discours présidentiel, le fameux, dans lequel sont glissés (noyés…) six petits mots de rien du tout, mais six petits mots qui frappent fort, qui font mal, qui nous blessent et pourraient radicalement transformer notre vie - et la vie de milliers de familles et d’enfants en France.

Cette petite phrase perdue dans un long discours de 9 948 mots fait mal à notre liberté. Six mots précédés du péremptoire “J’ai pris une décision”. Et bien nous aussi, Monsieur Macron, nous avons pris une décision : celle d’élever nos enfants dans la liberté et le respect complet de leur personne, et voici notre réponse à votre décision. C’est la réponse d’une famille parmi d’autres – qui a fait le choix d’une instruction en dehors de l’école, d’une instruction libre, belle et heureuse – mais je sais que ma réponse rejoindra celle d’autres familles. Même si nous avons des différences (et cela fait notre richesse) nous sommes unies sur un point essentiel : notre liberté de choix et d’action.
Nous ne pouvons pas vous laisser couper les ailes de nos enfants, et je vais vous dire pourquoi.

De votre discours j’ai retenu cette phrase : “L’instruction à l’école sera rendue obligatoire” (au passage, notez l’usage du futur, plutôt agressif, qui montre que dans votre tête c’est déjà fait). Pour vous c’est un futur certain, pour nous c’est encore au conditionnel car votre loi n’est pas votée.
De plus vous avez noyé ces six petits misérables mots dans un grand discours sur un tout autre sujet, un discours rempli de belles paroles, de grandes valeurs, républicaines surtout, que nous devrions soit disant protéger, valoriser, utiliser… Vous parlez aussi de liberté et vous dites même que l’école “est ce lieu où nous formons les consciences pour que les enfants deviennent des citoyens libres, rationnels, pouvant choisir leur vie”. Et donc, pour agir en faveur de cette belle école de la liberté, vous décidez tout simplement d’ôter une liberté aux enfants et leurs familles : celle de choisir… celle de choisir leur vie ! Ne voyez-vous pas la contradiction ? Elle ne vous saute pas aux yeux ?

Nos enfants ne vous appartiennent pas, Monsieur Macron. Vous ne pouvez pas choisir pour eux. D’ailleurs, ils ne nous appartiennent pas non plus, ils n’appartiennent qu’à eux-mêmes et surtout, ils ont leur mot à dire sur un choix qui pourrait transformer leur vie et changer leur avenir. Arrêtons de voir les enfants comme des objets que l’on peut modeler et auxquels on peut imposer nos choix simplement “parce que c’est bon pour eux”. VOUS prenez la décision d’enlever à NOS enfants une grande partie de leur liberté en leur interdisant de choisir à un moment où à un autre de leur vie, alors qu’ils en auraient besoin, l’instruction en famille. Dans quel but puis-je vous demander ? Celui de protéger quelques enfants qui vivraient dans des familles pratiquant un extrémisme religieux ? Puisque vous les avez repéré (apparemment vous avez des chiffres), agissez avec les moyens dont l’état dispose déjà plutôt que de taper sur la tête des autres qui respectent les lois ! Nous en avons assez, nous les familles non-scolarisantes, qu’on nous mette dans le même panier que le terrorisme, l’extrémisme et autres ismes (et je n’imagine même pas dans quel état d’inquiétude doivent être les familles musulmanes qui instruisent leurs enfants en famille…). L’IEF est déjà contrôlée chaque année par vos inspecteurs, et tous les deux ans par les services sociaux. Si cela ne suffit pas à repérer les enfants “hors système” comme vous les nommez, ça n’est pas de notre faute, mais de la vôtre. Ce n’est pas en ajoutant une loi supplémentaire que ces personnes en dehors des lois seront mieux repérées et ces enfants mieux aidés. C’est insensé et contreproductif. Les hors la loi resterons hors la loi et même, se cacheront encore plus ! D’ailleurs ne pensez-vous pas qu’avec votre interdiction d’instruire en famille vous pourriez bien provoquer une révolte et une montée en puissance des hors la loi ? Quel choix aurons-nous en septembre 2021 ? Celui de quitter le pays ou celui de devenir des pirates hors système ? Car jamais les parents qui ont fait ce choix d’instruction libre ne forceront leurs enfants à aller à l’école contre leur gré, en leur disant, “Mon enfant chéri, je t’aime, mais le gouvernement l’a décidé ainsi, parce que c’est bon pour toi et que grâce à l’école de la République tu vas devenir un bon citoyen libre penseur et libre de choisir ta vie”. Quelle incohérence ! Or nous avons choisi de vivre en adéquation et en cohérence avec nos valeurs.

Attention, je ne réfute pas l’école, je ne lui tape pas dessus, et je n’ai pas choisi l’instruction en famille contre l’école, pas plus que je ne me place en position de supériorité face à l’école. Cependant, vous le savez aussi bien que n’importe qui, l’école n’est pas parfaite – pas plus que l’instruction en famille d’ailleurs. Mais ces deux options imparfaites se complètent, elles sont nécessaires car elle composent un choix. L’instruction en famille est indispensable car elle donne de l’air à l’école, elle n’est pas là pour la combattre ni l’anéantir. Contrairement à vous, nous ne sommes pas en guerre contre quelque chose, nous agissons POUR - pour nos enfants, pour la liberté d’instruction.

Quand vous enlevez un choix, vous coupez les jambes de la liberté. Ne plus avoir de choix, équivaut à ne plus être libre de “choisir sa vie”. Les choix, les différentes options, les opinions, les points de vues variés sont complémentaires pour faire avancer l’humanité, pour développer des idées et enrichir notre culture. Ne plus avoir de choix s’est s’enfermer dans un schéma rigide. Votre discours est donc contradictoire et nous, les familles ayant choisir l’IEF avons le sentiment que nous ne savez pas de quoi vous parlez. Quand vous dites : “l’école forme plus que des individus, élève des citoyens, façonne des esprit libres” nous avons envie de rire – mais jaune–, car c’est exactement ce à quoi nous tendons (sauf peut-être le mot “façonne” qui ne me plait pas). Élever des libres penseurs est notre objectif premier ! Sauf que, d’après ce que je comprends, si c’est l’école qui le fait c’est bien, mais si c’est nous, c’est mal.

Cela prouve que vous ne nous connaissez pas et que vous ne savez pas de quoi vous parlez. Avez-vous déjà rencontré des familles pratiquant l’IEF ? Avez-vous discuté avec les enfants de ces familles ? Si cela avait été le cas, vous auriez pris conscience de la richesse que nous représentons pour le pays dont vous êtes provisoirement le chef d’état (richesse qui soit dit en passant a l’intention de mettre les voiles si votre loi venait à passer).
Si vous aviez discuté avec des enfants instruits librement, vous auriez peut-être été surpris par leur ouverture d’esprit, leur facilité à s’exprimer dans un français riche et construit, leur capacité à exposer leurs idées, leur aisance à parler avec des adultes (dont ils n’ont pas peur). Oui, nous élevons des enfants capables de penser par et pour eux-mêmes, de faire des choix, des enfants qui ont de grandes et belles valeurs à l’intérieur, une culture riche et ouverte sur l’extérieur et qui représentent un potentiel immense pour le monde de demain.

Avec votre décision, vous anéantissez ce potentiel. Oui bien sûr, tous ces enfants pourront aller à l’école de la République, mais réfléchissez un instant… s’ils n’y sont pas aujourd’hui, c’est peut-être pour une bonne raison, non ? N’avez-vous pas songé que pour certains enfants le type d’enseignement dispensé à l’école ne convient pas ? Votre volonté d’offrir la même éducation à tous enfermera les enfants dans une boite, un même moule. Vous ne semblez pas comprendre que l’instruction en famille est un choix qui permet à l’école de la République de ne pas ressembler à un lieu toxique. Elle est une soupape et une bouée de sauvetage pour certains enfants qui sont en souffrance dans le milieu scolaire, qui rencontrent des difficultés passagères, qui veulent souffler un peu pour y revenir plus tard, ou pour des enfants pratiquant la musique ou le sport de haut niveau. Certains enfants ont besoin de cela pour se “réparer” de l’école et d’autres sont simplement plus heureux d’avoir cette possibilité de s’épanouir librement et d’apprendre autrement. 

Votre décision nous fait peur car elle porte atteinte aux libertés du pays, pays des droits de l’humain, pays qui ose encore écrire “Liberté” au fronton de sa devise. Rogner la liberté d’instruction et s’immiscer dans le rôle des parents, c’est un premier pas vers la dictature, et je ne peux m’empêcher de penser (même si nous en sommes heureusement encore loin) aux jeunesses hitlériennes.
C’est grave de toucher à une liberté inscrite dans la Constitution et il est évident que nous défendrons nos droits et ceux de nos enfants à s’éduquer comme ils le souhaitent. Vous semblez n’avoir aucune idée de la force et de la puissance de l’amour des parents pour leurs enfants. Tenir pour la première fois dans ses bras une vie nouvelle remplie de potentialités réveille un instinct primaire, un instinct de défense qui permet aux parents de soulever des montagnes pour leurs enfants, de s’unir pour les protéger, protéger leurs droits et leurs besoins.
Vous ne nous connaissez pas du tout et vous nous attaquez (en mélangeant intégrisme religieux et IEF) comme si nous étions des marginaux et des rebelles dangereux. Venez donc à notre rencontre, ouvrez les yeux sur notre richesse. Elle est belle à voir quand on sait regarder.


Eve Herrmann,
Auteure

ps : Je suis tombée sur cet article écrit en 2015 (quand les filles étaient petites…). Il accompagne bien celui d’aujourd’hui : Une éducation pour la paix… Je vous invite à le lire aussi.
N’hésitez pas à partager. Il faut parler de nous, il faut sauver la liberté d’instruction et la liberté de pensée.