Nos matinées

Liv dessine en écoutant la lecture à voix haute du magazine La Hulotte à propos du rouge-gorge.

Liv dessine en écoutant la lecture à voix haute du magazine La Hulotte à propos du rouge-gorge.

J'ai écrit un nouvel article pour le magazine Wild + Free, sur le déroulement de nos matinées. Je vous en livre ici une version en français, pour les non-abonnés et non-anglophones.

Avec l'instruction en famille, nous avons la chance et la liberté de pouvoir façonner nos journées selon nos besoin. Je pense, au bout de deux ans, que nous avons trouvé un rythme qui convient à notre famille. 

Nous travaillons le matin, mais il ne s’agit pas d’un travail purement scolaire. C’est un temps de travail instauré, un temps calme et posé, durant lequel les filles peuvent choisir ce qu’elles ont envie de faire. Nous essayons d'avoir une période ininterrompue de 3 heures de travail.
C’est important pour l’enfant d’avoir ce temps pour lui, de sentir qu'il a de la place, de l'espace pour suivre et développer ses envies. Cela lui permet d’avoir accès à ce que Maria Montessori nomme le grand travail. Cette période de travail ininterrompue est essentielle à l’approche montessorienne : l’enfant a besoin de temps pour parvenir à se lancer dans un travail ou dans une réalisation; il a besoin de pouvoir le faire à son rythme, sans que l’adulte soit toujours en train de le diriger.

Les filles peuvent choisir de continuer un projet en cours, elles ont accès à du matériel à disposition sur les étagères, elles peuvent choisir de faire une recherche sur quelque chose qui éveille leur intérêt ou se lancer dans une expérience…. Elles ont quelques cahiers de travail pour les maths et le français, également à disposition. Nous pouvons aussi décider de faire une lecture à voix haute ensemble, comme ce fut le cas ce matin avec le numéro de La Hulotte sur le rouge-gorge.
Et si elles ne montrent aucune envie particulière, j’ai toujours quelques idées pour les aider et les guider ! Je prépare des choses à faire qui pourraient les surprendre et éveiller leur interêt.
J’ai également des leçons Montessori, incluant des manipulations ou des expériences que j’ai envie de leur présenter (mais j’en reparlerai plus tard).

Pour commencer la matinée, j’essaie de créer une ambiance apaisante, propice au travail et à la concentration, en allumant une bougie sur la table et en mettant de la musique. 

Quand le petit-déjeuner est débarrassé et rangé, nous nous retrouvons autour de la table pour parler de la journée. Les filles adorent consulter l’agenda : qu’allons-nous faire ? Y a-t-il une activité spéciale aujourd’hui, ou bien une rencontre avec des amis ? Savent-elles sur quoi elles ont envie de travailler ? Ont-elles des idées pour l’après-midi ? Je laisse d’abord les intérêts des filles nous guider et ensemble nous dessinons la journée. 

Nous avons aussi une petite routine pour chaque jour, le rendant un peu spécial :

Le lundi matin, nous écoutons « Les p’tits bateaux » en podcast sur France Inter. Pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une émission qui a pour but de répondre à des questions posées par des enfants. Cela peut être à propos de tout !
Pendant que nous écoutons, les filles généralement sont en train de dessiner ou de colorier et moi je prends des notes. Parfois, cela nous donne envie d’explorer un sujet plus en profondeur. Les filles adorent cette émission et ne veulent pas la rater !
Une fois par moi, le lundi, nous avons également notre rencontre du Book Club. La journée entière est alors spécialement dédiée à l’activité.

Le mardi c’est le jour où nous allons à la bibliothèque. C’est aussi le jour où nous choisissons de faire de la lecture à voix haute. Nous pouvons le faire à plusieurs reprises dans la semaine, selon les envies, mais avoir de nouveaux livres est motivant et les filles ne peuvent généralement pas attendre !

Le mercredi matin, nous avons décidé de faire un peu de Tai Chi et de méditation.
J’aimerais trouver le temps et la motivation pour faire cela plus souvent, le matin ou le soir, car je vois rapidement les bénéfices sur le comportement des filles. C’est presque immédiat. La méditation facilite leur relation, elles se parlent plus gentiment et se disputent moins.

Le jeudi matin, je leur fais une courte leçon sur l’Histoire. Je suis le programme Montessori et je leur lis également « The story of the world » que je traduis. Elles aiment ces récits qui s'accordent bien avec le principe Montessori qui est de raconter des histoires (et non uniquement des séries de dates et de faits) dans le but de marquer l'imaginaire de l'enfant.

Ces courtes leçons (20 minutes maximum) ne sont pas faites durant la période de travail de 3h. Je les propose plutôt avant car cela peut donner matière à travailler ensuite. Si les filles démarrent tout de suite sur autre chose, je fais la leçon à la fin de la matinée.

Le vendredi, nous étudions la géographie, à nouveau selon le programme Montessori. Je leur fais une courte leçon, souvent accompagnée d’expériences qui passionnent les filles. Elles aiment manipuler, tester, observer, dans le but de comprendre la complexité du monde.
Le vendredi est aussi notre jour de dessin d’observation de la nature, que nous appelons simplement « Nature Study ». Nous faisons cela à la maison ou au parc, selon le temps et notre envie de sortir.

J’aime que les filles aient le pouvoir de décider pour elle-mêmes, et mon but est qu'elles deviennent de plus en plus indépendantes, qu’elles dirigent leurs apprentissages avec joie et sérieux. J’espère qu’un jour elles n’auront besoin de moi que pour le plaisir de travailler ensemble !
Je pense que l’important dans l’instruction en famille est de créer des bonnes habitudes de travail, plus que d’accumuler des savoirs académiques.

Le rythme et la routine peuvent aider l’enfant à comprendre comment la journée va se dérouler. Un minimum de prédictibilité l’aidera à se détendre et à se sentir suffisamment confiant pour choisir son travail. Faire des choix et s’y tenir, c’est plus facile avec un cadre et une routine, et cela vaut même pour des grands.
Les rythmes et la routine donnent à l’enfant les marges dont il a besoin, et sa liberté de choisir lui donnera accès au plaisir du travail. Le grand travail décrit par Maria Montessori arrive quand l’enfant est tellement investi dans ce qu'il entreprend qu’il n'est plus conscient de ce qui se passe autour de lui.
Quand l’enfant ne voit plus le savoir comme une finalité, il découvre le plaisir caché dans l'apprentissage.
Le chemin est plus excitant que l’arrivée, que le savoir lui-même, et la joie réside entre le moment où l’on ne sait pas et le moment où l’on sait.
Si mes filles pouvaient expérimenter cela au moins une fois, ce serait ancré en elles pour le reste de leur vie. Elles comprendraient qu’être capable d’apprendre, et en avoie envie, est bien plus important que l’accumulation des savoirs. Nous pouvons grandir toute notre vie en apprenant.
Nous n’en sommes pas encore là avec les filles. Mais leur travail choisi librement les guide sur ce chemin. 

Je me souviens d’avoir ressenti le plaisir d'un travail long et complexe pendant mes années de collège. J’avais choisi de faire une présentation sur l’écosystème d’une mare et j'avais travaillé dur. Plus tard, au lycée, j’ai pris des cours de physique en option (la physique n’était plus au programme pour moi). Et j’ai aimé ce petit moment de flottement qui réside entre l’ignorance et le savoir… quand vous êtes en train de chercher et de cheminer vers le savoir. C’est exaltant.
J’ai également connu cela avec le dessin. Au lycée et même avant, je pouvais me lancer dans des dessins longs et compliqués et à ce moment-là, le travail me procurait plus de plaisir que le résultat, qui était rangé et vite oublié.
Aujourd'hui j'ai ce plaisir de l'entre-deux quand je crée, que ça soit des textes, des images, ou des projets en germination. Quand les idées naissent, quand on apprend encore en faisant, en lisant, en essayant...

Bon retournons à nos matinées !
Après avoir parlé de la journée et des envies de chacun, nous nous mettons au travail. Parfois j’essaie de faire le mien aux côtés des filles, les aidant seulement si nécessaire. D’autres matins, je suis plus impliquées dans leurs activités.

C’est difficile de trouver ce qui convient bien à notre famille et c’est tentant de remplir les journées de nos enfants d’exercices et de fiches, juste parce qu’ils font partie du programme qui dit que nous devrions apprendre ceci ou cela ! Je connais ce sentiment. Mais nous devons nous rappeler que les apprentissages ne peuvent pas être planifiés et vont spontanément se produire.
Je m’appuie beaucoup sur la pédagogie Montessori, le matériel que nous avons, et sur l'ambiance. Mais j'essaie de limiter le matériel car que je suis plus concernée par la qualité que la quantité, et je veux transmettre cela à mes filles. Je n’achète ou fabrique que le matériel que les filles vont utiliser longtemps. Le matériel de maths est génial et les filles l’apprécient bien.
Comme je l’ai dit plus haut, je suis le programme Montessori 6-12 pour l’histoire et la géographie. Il est merveilleusement riche et intéressant. Il est basé sur 5 grandes leçons. Ces leçons sont fortes, excitantes et créées pour éveiller l’imaginaire et la curiosité des enfants. Elles parlent de la création de l’Univers, de l’apparition de la Vie, de l’apparition de l’Homme, de l’histoire des signes et des nombres.
L’enfant devrait être frappé par les merveilles de la création, ravi par toutes ces idées et touché par l’inventivité et l’esprit d’innovation de l’Homme. Dans l’approche montessorienne, on introduit tout de suite de grands concepts à l’enfant de 7 ans, le plus grand de tous étant la création de l’Univers avec la première grande leçon.
Toujours en accord avec la philosophie Montessori, les filles ont accès à un large panel d’activités manuelles, comme la couture, la vannerie, le feutrage, le tissage… (voir billet précédent ;-))

Si vous êtes nouveaux dans cette aventure de l’instruction en famille ou que vous essayez de rythmer vos journées, laisser les enfants être votre guide. Ils ont toujours de bonnes idées à apporter.
Quand je vois que notre routine prend l’eau, je me pose un moment avec les filles pour redessiner notre semaine. J’ai besoin d’avoir leur sentiment à propos de ce qu’il se passe. Si elles participent à la construction du planning, elles le suivront avec plus de zèle et de plaisir.
J’ai vu que nous devons revoir notre organisation à peu près 2 ou 3 fois dans l’année. Peu importe que ça soit un simple ajustement ou une complète révision, l’impact sur la motivation des filles est immédiate et visible. Les changements nous remettent sur notre route.

Comme vous pouvez le voir, nos jours sont remplis et riches, mais nous avons la liberté de vivre des aventures qui ne sont pas au programme ! Nous travaillons généralement le matin et sortons l’après-midi, mais ce n’est pas rigide et nous nous adaptons et restons ouverts aux opportunités qui se présentent.
C’est la grande beauté de l’instruction libre !