Écrans, pour ou contre ?

     La question de l'utilisation des écrans est cruciale dans l'éducation actuelle. Qu'en faisons-nous ? Quelle position adopter ? Combien de temps les autoriser ?
Certains parents ne voient pas de problème à laisser leurs enfants accéder aux tablettes, ordinateurs et smartphones. D'autres à l'inverse n'autorisent aucun écran et sont totalement contre, jugeant que le temps devant l'écran a des effets trop négatifs sur le comportement et l'esprit en développement des jeunes enfants.

     Nous nous situons un peu au milieu, sans interdiction totale, mais plus proche du sans écran. J'aimerais bien que mes enfants grandissent encore un peu sans écran, mais il nous est difficile d'attendre cela d'elles quand leur papa et moi y passons beaucoup de temps chaque jour ; l'ordinateur étant notre outil de travail. Ce n'est pas la même chose de se divertir avec les écrans (se promener sur Facebook, regarder YouTube, jouer à des jeux vidéos...) que de les utiliser pour créer. Mais pour les enfants, la distinction n'est pas évidente. Je l'explique régulièrement aux filles, et dès qu'elles seront assez grandes, elles pourront avoir accès à l'ordinateur pour éditer des images, programmer, créer un blog, écrire des mails... et même à ce moment-là il faudra veiller à ce que l'utilisation de l'ordinateur ne vienne pas gâcher ou supprimer d'autres potentialités créatives.

     Jamais nous n'utilisons l'écran pour occuper les filles afin d'être libres de faire autre chose. D'autant plus qu'elles peuvent passer de très longs moments à créer des histoires, à dessiner ou bricoler sans venir nous chercher.
Ce qui m'inquiète avec les écrans utilisés par les enfants et les jeunes ados est qu'en étant rivés à leur tablettes ou téléphones ils ratent des choses et deviennent dépendants. Lors d'un voyage en train, d'un repas au restaurant, d'un déplacement en voiture, etc, les écrans ont tendance à remplir les vides, les moments de notre vie sans stimulations. Ils nous prennent notre temps libre pour penser, nos occasions de rêver ou de s’ennuyer ou le temps "d'être" et ne rien faire. Regarder défiler le paysage derrière la vitre du train et penser (ou ne pas penser...).

     Chez nous la règle sur les écrans est claire : ils ne sont pas interdits mais permis très modérément, en insistant plus sur les moments en famille ou avec les amis, à discuter, jouer et fabriquer quelque chose. Nous insistons sur le monde physique.
     Les jeux et les dessins animés sont addictifs et même s'ils occupent ou distraient pendant un temps, ils sont immersifs et ils isolent, écartant l'enfant d'une interaction sociale, d'un moment éducatif ou d'une activité imaginaire. L'enfance est brève, le temps des jeux imaginaires ne dure pas. Il faut en profiter le plus possible. Alors quand les filles nous demandent un jeu sur l'Ipad ou un dessin animé, nous proposons une activité, un jeu de société ou de construction, du dessin, de la peinture, du modelage, de la cuisine... les alternatives sont nombreuses, et elles se lancent rapidement dans quelque chose qui les captive et oublient l'écran.
     Je leur dis aussi que ce n'est pas grave de s'ennuyer (bien que ça ne leur arrive pas très souvent) et surtout qu'elles n'auront jamais droit à l'écran en réponse à de l'ennui ! C'est important pour moi qu'elles n'aient pas peur de s'ennuyer. L'ennui est source de création. C'est dans ces moments où il ne se passe rien que l'esprit libre se met en marche et peut inventer.
     Parfois il y a des jours où elles n'arrêtent pas de se chamailler ou râlent pour un rien et sont prêtes à me faire craquer, mais je préfère qu'elles arrivent à gérer leur relation d'elles-mêmes plutôt que de les calmer en les mettant devant un écran (résultat pourtant radical !).

      Si nous faisons le choix de regarder un film nous essayons d'en faire un moment de partage en le regardant en famille et puis d'en discuter. Je pose des questions aux filles pour voir ce qu'elles ont compris. J'aime bien quand elles regardent un film avec leur papa et me le racontent par la suite ! C'est pareil pour le cinéma. Elles y vont de temps en temps avec leur papa et sont ensuite ravies de me faire partager l'histoire, les personnages, les meilleurs moments.

     Enfant, j'ai grandi presque sans télé. Nous l'avons eue par intermittence et l'usage en était limité et encadré. Pourtant je n'ai jamais eu le sentiment de manquer de télé. La télé et les jeux vidéo ne faisaient pas vraiment partie de mes intérêts. Plus grande, j'aimais bien regarder un film en famille le mardi soir car il n'y avait pas d'école le lendemain. Et chez nous la bonne marche de la télé était dépendante du soleil, car nous étions à l'électricité solaire produite en petite quantité. Parfois la télévision s'éteignait avant la fin du film !
     Je suppose qu'une partie de moi aimerait recréer cette enfance. Je voudrais pour mes filles une enfance simple où l'occupation vient du jeu, l'apprentissage vient du "faire" et où l'ennui nourrit l'imaginaire. Mais l'époque a changé et a vu naître les ordinateurs et internet, les tablettes, les smartphones, les nombreux jeux vidéos et les myriades d'applications en tout genre. Il est plus difficile aujourd'hui, je pense, de protéger les enfants d'un mauvais usage de ces technologies. Je sais qu'il faut en premier lieu donner l'exemple à nos enfants si nous avons envie qu'ils suivent nos conseils. Nous aurons beau leur dire et redire de faire attention à ne pas devenir "accro" si nous le sommes nous mêmes... C'est pourquoi je fais attention à ne pas "trainer" sur mon ordinateur. Quand j'en ai besoin pour travailler, je dis aux filles que je vais travailler. Et quand je suis avec elles, engagée dans nos activités journalières l'ordinateur est fermé.
     Avec le téléphone, c'est plus délicat. On le prend partout avec nous, on le consulte pour un rien. Il y a deux ans je n'avais pas de téléphone portable. J'avais fait ce choix car je n'avais pas le besoin d'être joignable partout ni de pouvoir téléphoner en dehors de la maison. De plus je n'aime pas du tout téléphoner avec un portable. Mais les filles grandissant, nous étions plus souvent en vadrouille, à devoir retrouver des amis ici ou là, et j'ai ressenti le besoin d'avoir un portable (avec un tout petit forfait me permettant de recevoir des textos et d'en envoyer). Puis Benoit a changé son Iphone pour être à jour sur les nouvelles technologies pour son travail, et m'a donné son ancien téléphone. Au départ, je l'ai utilisé comme avant, seulement pour quelques textos et coups de fils. Et un jour, je ne sais pas pourquoi j'ai installé Instagram ! Oups... J'ai plongé !
     Instagram est un chouette outil pour partager des images rapidement. J'aime les images et j'aime en produire. C'est donc naturellement que j'ai bien accroché. Contrairement à mon blog, il y a une notion d’instantanéité (même si je publie mes images avec un petit décalage !). Pas besoin de longs discours pour accompagner une image. Mais comme avec le reste, il faut être vigilant et ne pas tomber dans l’excès.
     Il m'arrive parfois de penser à telle ou telle photo me disant qu'elle serait bien sur Instagram.... c'est un signal ! Le signal qu'il faut être plus vigilante. Ne plus y penser et revenir dans l'instant présent. Prendre des photos (avec mon appareil photo) est un acte qui au contraire me connecte au présent et à la situation. La photo aiguise le regard et l'observation. Mais il ne faut pas en même temps penser à la publication des images sur internet ou sur Instagram. C'est le futur et ça ne doit pas empiéter sur le moment où l'on prend les photos. C'est d'ailleurs aussi pour cela que j'ai du mal à prendre des photos quand il y a beaucoup de monde et d’interaction. Car pour prendre des photos, il faut être un peu en recul, dans une attitude d'observation. La photo m'aide à être moins dans l'action et plus dans l'observation !
     Heureusement j'ai gardé un tout petit abonnement dont la connexion internet est très très limitée hors de la maison. C'est un moyen radical de réduire son utilisation à l'extérieur. Il me sert juste à envoyer ou à recevoir des textos en cas de besoin. Si j'ai une urgence à gérer pour le travail, je peux consulter mes e-mails et y répondre, mais c'est très rare. Je suis ainsi disponible et attentive, dans l'instant présent avec mes filles. Ainsi j'espère leur montrer que l'on peut être maître de ces outils et ne pas se laisser envahir. Car ce sont bien des outils. Être capable de contrôler sa consommation des écrans peut nous aider à tirer plus de bénéfices de ces outils.

     Alors que j'écrivais ce billet, Benoit m'a parlé d'un article lu récemment, sur les grands patrons de la Sillicon Valley qui n'autoriseraient pas l'accès aux écrans à leurs enfants !  Cela m'a fait sourire, car on aurait pu, au contraire, imaginer leurs enfants testant les toutes dernières tablettes et applications. Cela donne à réfléchir, que les mieux placés et les mieux informés sur ces technologies, les interdisent à leurs enfants.

     Une autre chose à prendre en compte, qui est assez flagrante chez nous, est la réaction de l'enfant devant les écrans, ou après "consommation" d'écran. Pour nous c'est un signal essentiel pour voir où et quand nous devons mettre des limites. Liv supporte très mal l'exposition aux écrans : elle est tellement captivée, happée, comme plongée dans un autre monde, que le retour à la réalité est difficile. Elle devient irritable, de mauvaise compagnie, ne supportant plus rien, et n'écoutant plus rien. Chez Émy c'est moins fort. Elle est très attirée par les écrans mais peut plus facilement s'en détacher. Nous ressentons quand même l'effet de l'écran sur son comportement...

     Quelle que soit la règle d'utilisation que nous choisissons pour notre famille, il faut essayer d'être cohérent entre notre discours et nos actes, être attentifs et vigilant et accompagner nos enfants dans la découverte des nouveaux médias. Ils ne sont pas à rejeter, ce n'est pas ce que je veux dire dans ce billet. Ils sont, je pense, à prendre en considération modérément et posément quand il s'agit de nos enfants qui n'ont pas encore développé de discernement face à cette déferlante d'écrans et d'applications, qui sont encore dans la construction de leur propre imaginaire, et dans la compréhension du monde réel. Je pense qu'ils sauront les utiliser intelligemment dans leur vie d'adulte et en inventer des nouveaux usages...
en temps voulu.

    

Pour conclure, je relaie ici l’appel de 50 experts de la santé psychique pour une prise de conscience des risques liés à l’abus d’écrans (datant de 2013). Je trouve leurs mots justes :

« Nous, spécialistes de la psychologie, des comportements et des relations humaines, appelons aujourd’hui chacun à la prudence et à la vigilance face à l’utilisation abusive des écrans. Les ordinateurs, smartphones et tablettes représentent un formidable progrès. Ils facilitent l’accès à la connaissance et multiplient les possibilités d’échanges, d’interactions et de coopérations. Mais en les laissant envahir notre quotidien sans nous interroger sur leurs inconvénients, voire leur utilité réelle, nous avons donné à ces technologies une emprise préoccupante sur nos vies.

Une prise de conscience est nécessaire. Car l’usage abusif d’écrans induit une hyper sollicitation permanente, source de stress et de fatigue. Il nous prive du temps de repos, de réflexion et de présence au monde indispensables au bien-être et au bien-penser. Il favorise les pratiques pathologiques et compulsives, notamment chez les jeunes et les personnes fragiles. Il modifie en profondeur les processus d’attention, de mémorisation et d’apprentissage. Il nuit parfois à la qualité de nos relations interpersonnelles.

Pour toutes ces raisons, nous appelons l’ensemble des acteurs concernés – citoyens, politiques et fabricants – à élaborer ensemble des règles de bon usage des nouvelles technologies, un code de bonne conduite de la vie numérique. »

Les signataires : Marie-José de Aguiar, Catherine Aimelet-Périssol, Thomas d’Ansembourg, Christèle Albaret, Éric Albert, Christophe André, Marie-Frédérique Bacqué, Lise Bartoli, Laurent Bègue, Stéphanie Bertholon, Catherine Blanc, Pierre Blanc-Sahnoun, Gérard Bonnet, Alain Braconnier, Odile Chabrillac, Valérie Colin-Simard, Jean Cottraux, Isabelle Crespelle, Claire Delabare, Geneviève Delaisi de Parseval, Katia Denard, Isabelle Desplats, Nathalie Duboc, Frédéric Fanget, Isabelle Filliozat, Vincent de Gaulejac, Michel Hautefeuille, Serge Hefez, Alain Héril, Marie-Gabrielle Héril, Jean-Michel Hirt, Luce Janin-Devillars, Nicole Jeammet, Philippe Jeammet, Anna Kaplan, Sylvie Latremolière, Jacques-Antoine Malarewicz, Virginie Megglé, Moussa Nabati, Antoine Pélissolo, Didier Pleux, Jocelyne Poussant, Marie Romanens, Lili Ruggiéri, Jacques Salomé, Carole Sédillot, Sarah Sériévic, Saverio Tomasella, Bernard-Élie Torgemen, Maryse Vaillant.