Vos questions sur l’IEF

INSTRUCTION LIBRE

Questions - réponses

Je vous ai sollicités sur Instagram pour savoir si vous aviez des questions au sujet de l’IEF avec des ados et comment nous abordions les apprentissages libres.

Vous avez été nombreux.ses à participer. Merci pour vos questions très intéressantes. J’ai regroupé les demandes similaires et j’ai créé un petit dialogue à partir de vos questions. J’espère que chacun.e s’y retrouvera et que je n’ai rien oublié. En préambule, je voudrais rappeler que tout ce que je raconte ici n’est que mon point de vue basé sur notre expérience personnelle. Ce ne sont pas des formules ; l’idée est de donner des pistes de réflexions, et je n’ai pas non plus réponse à tout. Et dernière chose, l’IEF est pratiquée de manière très différente selon les familles. Mes réponses à vos questionnements ne sont donc qu’une facette de l’IEF.

Et on va démarrer par la grande question de la socialisation. La question la plus abordée quand on parle d’instruction en famille ! À chaque fois j’y ai droit, avec la seconde question, comment être sûr qu’elles apprennent tout ce qu’il faut ? qui viendra après.

 
 

Ne te sens-tu pas parfois coupable de leur ôter une partie de leur enfance
( copains, anniversaire, etc) ?

Je pourrais ironiquement répondre en posant cette question à l’envers : ne vous sentez-vous pas coupable de priver vos enfants d’une partie de leur enfance en les enfermant toute la journée à l’école ? C’est en réalité juste une question de point de vue ! Mes filles ont le choix d’aller ou non à l’école (qu’elles connaissent un peu) et ne se sentent pas isolées du monde, même si nous ne faisons pas des activités de groupe tous les jours. Elles sont régulièrement invitées à des anniversaires et cela toujours été le cas, que ce soit des anniversaires d’enfants non scolarisés ou d’enfant scolarisés, de même qu’elles invitent des amis pour fêter les leurs. Émy a fêté le sien hier avec 7 copines invitées (sans compter celles qui ne pouvaient pas être de la partie).

Je n’ai pas du tout le sentiment de les priver d’une partie de leur enfance. En réalité c’est plutôt le contraire.
J’ai le sentiment de leur offrir la possibilité de la vivre pleinement, et à leur façon.
Pour certains enfants, la collectivité est compliquée, surtout quand ils sont petits. Ils n’ont pas tous envie de passer leurs journées avec 25 autres enfants du même âge qu’eux. Petits ils sont rarement demandeurs de collectivité, ils ont juste besoin de voir des gens – tous âges confondus – de façon régulière, mais pas forcément quotidienne et de pouvoir interagir librement avec ces personnes. En grandissant, ils ont plus de demandes, et une fois ados, le groupe compte plus pour eux. Dans ce cas il faut inviter les amis à dormir à la maison, à venir en vacances avec nous... etc, créer des occasions, et ne pas toujours être derrière eux à contrôler ce qu’ils font et à organiser leur vie.

Mais ça limite tout de même les occasions de voir les copains/copines, non ?
Et l’école apporte une forme de mixité sociale, ethnique, culturelle, religieuse… qui aide les enfants à mieux accepter “l’autre”.

Ça limite en effet si on compare encore une fois à l’école. Mais le fonctionnement de l’école a-t-il tout bon? Côtoyer les 30 enfants de sa classe presque chaque jour, est-ce vraiment nécessaire pour avoir des amis et se socialiser ? Demande-t-on à l’enfant s’il a envie de les voir ? Les a-t-il choisi ? Aime-t-il être en groupe ? Est-ce que ce type de socialisation forcée lui convient ? L’école fait uniquement partie des nombreuses possibilités pour se socialiser, mais ce n’est pas la seule et on confond souvent socialisation avec collectivité. N’oublions pas non plus que la socialisation à l’école mène parfois au harcèlement, et ce justement parce qu’elle est forcée (le chiffre de 700 000 enfants touchés est exubérant !) En IEF cela n’existe pas, car on n’est jamais obligé d’être avec ceux qui pourrait nous harceler, et la cohésion d’un groupe contre une personne n’existe pas non plus.
Quant à la mixité supposée de l’école, je dirais que ça dépend où l’on vit ! Dans le 6ème arrondissement de Lyon, pas si sûre qu’il y ait une réelle mixité. L’école se contente de reproduire la mixité déjà présente dans le lieu où l’on vit. Rien de plus. Je pense que la vraie vie apporte son lot de mixité en tout genre quand on sait être ouverts et qu’on ne vit pas en vase clos. Pour ma part, l’école m’a amenée à me fermer aux autres car je n’aimais pas le groupe, alors que j’allais facilement vers toutes sortes de personnes avant ma scolarisation. Je me suis débrouillée pour toujours rester dans mon coin avec une ou deux copines, j’ignorais complètement les autres et je fuyais toutes activité de groupe. Je peux comprendre que certains enfants aient le besoin d’être en groupe, mais d’autres qui n’ont pas ce besoin ne sont pas à l’aise à l’école. Ce sont souvent ceux qui font les frais du harcèlement pour leur comportement “hors norme”.

Quoi qu’il en soit, mes filles arrivent à trouver leur compte d’amis. C’est sûr qu’elles seraient contentes d’avoir un peu plus de choix, mais cela n’est toutefois pas assez rédhibitoire pour leur donner envie d’aller à l’école. À nous d’aller vers les gens, de créer des rencontres. Il n’y a vraiment pas que l’école pour se faire des amis et l’amitié n’a pas de frontières : grâce à Instagram nous avons rencontré une famille à Londres et ce sont devenus des amis très chers; Émy a des copines à l’aïkido (qu’elle pratique depuis 7 ans) qui vont à l’école, et une amie dans les Alpes où nous allons souvent. Liv a développé un réseau d’amis via Clonlara - dont je parlerai plus tard - et elle passe beaucoup de temps à chatter avec eux tout en dessinant. Pour son anniversaire elle a invité un ami rencontré via Clonlara. Il est venu passer quelques jours chez nous car il habite loin. C’était chouette pour eux de se voir en vrai !

Je pense que la socialisation en dehors de l’école est plus douce et plus choisie, elle ressemble plus à la vraie vie finalement, car elle ne repose pas sur une obligation de collectivité. Douter de la socialisation des enfants en IEF, c’est comme si doutait de la socialisation de toutes les personnes qui sont à leur compte et travaillent seules (j’en fais partie). Travailler pour soi ne signifie pas que l’on a décidé de ne plus fréquenter personne et de rester enfermé toute la journée coupé du monde. Non, et à juste titre personne ne s’inquiète de la socialisation des travailleurs indépendants ! Pourquoi ce serait différent pour les enfants ?

 

Notre table de travail, un joyeux bazar !

 

Comment s’organise une journée? Tes filles ont-elles un programme ?

Toutes nos journées sont différentes. Alors comme il n’y a rien de mieux que les exemples, voici la journée de lundi :
Les filles se lèvent vers 8h30. Après leur petit déjeuner elles se mettent au travail. Comme on est lundi, Émy prépare sa liste de choses à faire pour la semaine. Elle a besoin d’organisation et de pouvoir cocher des cases. Ça la motive. En revanche Liv suit ses envies. Ce jour-là elle commence sa journée en écoutant des histoires en anglais, écrites par des enfants pour un concours de littérature de l’année dernière. Cela fait partie de ses devoirs d’anglais donnés par sa professeure (elle suit un cours de littérature anglaise avec des homeschoolers anglais). Cette semaine, elle doit écouter des histoires lues, en choisir une et écrire une petite review. Leur prof leur propose de participer au concours de littérature cette année. Elle va donc écrire une histoire. Émy a terminé son planning et s’est décidée pour de la science. Elle réalise un lap book sur le soleil (éditions Carpe Diem). Comme elle a besoin d’aide pour que je lui explique certaines choses, je l’accompagne. Après cela elle lit un peu. Elle termine Watership Down de Richard Adams (450 pages pour elle ça représente une sacrée victoire !) et commence Hugo de la nuit de Bertrand Santini. Pendant ce temps Liv, qui a terminé son anglais, enchaine avec du japonais. Elle a cours à 14h et veut travailler un peu avant. Elle révise du vocabulaire et écoute des dialogues sur un site.
Inspirée par sa soeur, Émy se met aussi à l’anglais. Elle regarde des vidéos sur BBC learning English for Kids (ce sont des petites scènettes de la vie quotidienne).
Après quoi c’est l’heure de faire à manger. Nous préparons le repas ensemble et les filles mettent la table.
Après manger, pendant que je range la vaisselle et la cuisine, Liv joue du piano et Émy discute avec des amis. Elle révise ensuite une chanson qu’elle apprend à son cours de chant. Nous nous apercevons qu’il y a des erreurs dans les paroles de la chanson que j’ai imprimée. Émy en cherche une autre version, correcte cette fois, et la ré-imprime. Puis elle s’entraine à chanter les notes que je lui joue au piano (c’est un exercice conseillé par son professeur).
Nous faisons ensuite un moment de lecture à voix haute (Liv dessine et Émy coud pendant que je lis. Elle fait des guêtres pour son cosplay de Demon Slayer). Je continue de lire à voix haute aux filles, car nous adorons ces moments de partages. Nous commençons un nouveau livre : Combien de pas jusqu’à la lune de Carol Trébor.
Puis à 14h Liv a sa leçon de japonais en ligne et Émy part pour sa leçon de guitare.
Après le japonais Liv se remet au dessin. Elle s’entraine en ce moment à utiliser Procreate. Elle fait cela tout en discutant avec des amis.
Emy revient de son cours de guitare vers 15h. Elle veut encore faire de l’anglais et continue de regarder des vidéos sur BBC Learning English.
Puis c’est l’heure de goûter. Nous allons manger au parc en passant chercher Stuart, un chien qu’Émy garde. Nous le prenons cette fois-ci juste le temps de la sortie, 1h seulement car comme il est encore jeune il ne peut par marcher très longtemps.
De retour Liv fait de la chimie. Elle utilise un document de Carpe Diem : Les éléments chimiques. Émy quant à elle se met au bricolage d’une maison miniature dans une boite. Elle réalise une chambre. Avec une amie, elle ont le projet de faire chacune plusieurs pièces puis de les assembler.
Au cours de son travail sur l’hydrogène Liv est amenée à regarder une vidéo au sujet du zeppelin allemand Hindenburg, qui a pris subitement feu à son arrivée à Manhattan après une traversée de l’Atlantique. Émy, intéressée regarde aussi la vidéo. Plus tard, au repas, les filles nous racontent l’histoire dans les moindres détails. Liv nous parle aussi des éléments du tableau périodique qu’elle a étudié et pourquoi ils sont ordonnées de la sorte dans le tableau. Les repas sont toujours des moments sympa qui leur permettent de partager ce qu’elles ont appris. C’est dans les conversations qu’on se rend compte des connaissances de nos enfants et de leur capacités à faire des liens entre elles. Liv se rappelle que la catastrophe a lieu en 1937, et que donc Hitler était déjà au pouvoir, avec sa propagande nazie. Ils avaient d’ailleurs décidé de décorer le zeppelin avec une croix gammée, ce qui l’amène à penser que l’accident pourrait être en réalité un sabotage.... (elle n’avait pas encore vu la fin du reportage au moment de la discussion car il s’agit finalement d’un accident).

Voilà donc à quoi peut ressembler une journée, mais chaque jour est différent en fonction de ce qu’elles choisissent de faire. Il y a des jours très productifs et d’autres beaucoup moins.
Aujourd’hui nous sommes arrivés à une certaine autonomie dans le travail, mais ça n’a pas toujours été comme ça. Nous avons fonctionné de plein de manières différentes, et chaque année a apporté son lot de nouveautés et de changement. Chaque année les filles avaient de nouvelles envies, de nouvelles capacités et de nouveaux besoins. Nous n’aurions pas pu recommencer comme l’année précédente sans rien changer. Nous sommes passé par des matinées thématiques que l’on consacrait à l’étude d’un seul sujet, par des plannings plus détaillés que nous n’arrivions pas à suivre, par des moments de grands flottements où on ne savait plus comment s’organiser... Si vous remontez au début sur le blog, vous pourrez lire toutes les évolutions.
Mais c’est ce qui rend l’instruction en famille si passionnante. On ne s’ennuie jamais car on ne tombe pas dans la routine. Et si ça arrive et que les enfants se lassent, on réagit, on réajuste, on discute pour voir ce qui les intéresserait de faire pour repartir avec de la motivation plein les baskets.
Le fait de permettre aux enfants de construire leur propre programme et d’aller vers ce qui les intéresse est ce qui les aide énormément à rester motivés. Et quand la motivation retombe, on analyse la situation ensemble et on voit ce que l’on peut changer pour qu’elle revienne.


Et pour les tâches quotidiennes, comment vous organisez-vous ? Et toi quand travailles-tu ?

Nous n’avons pas particulièrement d’organisation, c’est un peu comme ça vient ! Je demande aux filles de participer, ça a toujours été le cas. Mais ça n’a jamais été présenté comme une obligation, mais plutôt comme quelque chose de naturel : nous vivons ensemble et chacun participe à son niveau. Nous ne sommes pas très exigeants avec elles, elles nous voient faire et apprennent aussi de cette façon. Et quand j’ai besoin d’aide pour faire le repas par exemple, c’est ainsi que je le formule : “Peux-tu m’aider à faire le repas, s’il te plait ? et je remercie pour l’aide ensuite. Nous n’attendons pas qu’elles disent oui tout le temps. Nous aussi nous répondons non à leurs demandes quand nous sommes occupés, elles ont le droit de faire pareil !
Quant à mon travail, c’est le point le plus délicat. Même si les filles sont très autonomes, elles ont besoin de moi. Alors je travaille à leur côté, tout en étant présente si besoin. Cela veut dire que je ne peux pas vraiment prévoir mon temps de travail en avance ! En revanche, si j’ai vraiment besoin de 3h de suite pour avancer un projet, je le leur dis et elles me laissent tranquille. Mais cela ne peut pas être tous les jours. Je me suis engagée auprès d’elles pour rendre possible leur instruction libre; bien qu’elles sachent que cela repose sur elles, sur leur motivation et sur les choix qu’elles font, je suis là en soutient autant que nécessaire.

 

Lecture offerte et goûter assorti !

 

Si j’ai bien compris, elles choisissent sur quoi travailler, mais qu’en est-il des programmes de l’éducation nationale ?

Nous ne suivons pas le programme de l’éducation nationale. Point. Même si ça me stresse de faire ce choix, je ne peux pas faire autrement. Si je veux laisser mes filles libres de leur instruction, je ne peux pas les forcer à apprendre ceci ou cela. Et d’ailleurs, quand on y pense, pourquoi certaines choses seraient-elles plus valables que d’autres dans les apprentissages ? Les maths plus que le dessin ? Donc non, je n’oblige pas mes filles à suivre des programmes qui n’ont rien à voir avec leurs intérêts et ne les enthousiasment pas, ni dans le fond ni dans la forme. Quand un étudiant ne voit pas la valeur de ce qu’il apprend, ni de connexion avec le monde réel, alors il peut légitimement se poser la question : cela vaut-il que j’y consacre du temps et des effort ? C’est pareil pour nous.  Nous n’aimons pas que notre temps et nos efforts soient gâchés pour des choses inutiles et sans aucun intérêt.

Cependant je regarde les attendus de fin de cycle, qui eux sont nécessaires pour défendre nos choix éducatifs auprès des inspecteurs de l’EN. Et on se rend facilement compte, en passant en revue ces attendus, que nos enfants y parviennent en s’intéressant à plein de choses qui ne sont pas forcément au programme.
Toutefois ayant j’ai à coeur d’offrir une culture assez large et riche à mes filles, je leur propose régulièrement des sujets à aborder ensemble, souvent sous forme de lectures partagées, d’écoute d’un podcast, ou visionnage d’un reportage. Je peux parfois m’inspirer de ce qui est au programme, mais ça n’est pas une obligation.

Tu n’amènes donc pas tes enfants à faire ce qui doit être fait ?

Rien de spécial ne doit être fait en réalité. C’est compliqué de ce détacher de ça. Je suis passée pas l’école, et ça me fiche aussi la frousse. Mais je n’écoute pas la petite voix quand elle me dit ça. C’est l’école qui nous fait croire que les choses au programme sont essentielles pour réussir notre vie, faire de bonnes études, avoir un bon métier... Mais en est-on sûr ? Y a t-il une garantie ? Non, pas plus qu’il y en a à les laisser vivre leur instruction librement et aller vers ce qui les intéresse – mais au moins elles y prennent du plaisir et développent leur talents. Je ne peux pas savoir si les choix que nous faisons pour nos enfants sont les bons. Ce sont ceux qui nous semblent le plus juste et le plus en accord avec elles.
Finalement c’est de leur vie qu’il s’agit, et si d’une certaine mesure elles peuvent dès maintenant être aux commandes, je trouve cela fantastique.

Et pour en revenir à la question de départ, je n’amène pas mes filles à faire ce qui doit être fait (selon les critères de l’éducation nationale) car elles sont responsables de choisir ce qu’elles veulent faire. Cette responsabilité change la donne. Il y a forcément des moments où l’une ou l’autre est moins motivée, des moments durant lesquels Liv fait surtout du dessin et Émy des bricolages, puis ça passe et elles ont de nouveau envie d’aborder d’autres sujets.

Mais en dehors de ça, il est important pour moi qu’elles sachent bien lire (c’est à dire être capables de lire de tout et comprendre ce qu’elles lisent), qu’elles sachent bien s’exprimer, en un français clair et correctement construit, qu’elles sachent bien exprimer leurs idées, de façon compréhensible et fluide, qu’elles sachent chercher les ressources nécessaires à leurs apprentissages et qu’elles sachent chercher en elles la motivation pour continuer. C’est plutôt dans cette direction que se porte mon attention, et non sur des programmes artificiels. Elles sont responsables de leur programme, elles savent que l’instruction en famille ne correspond pas à trainer toute la journée sans rien faire (elles n’en ont d’ailleurs pas l’envie); elles doivent avoir des projets, des idées, des intérêts et les mener à bien. C’est le deal, l’instruction en famille ne repose pas que sur mes épaules, c’est aussi leur choix et ce sont elles qui sont aux commandes la plupart du temps. Je suis là pour guider, aider à organiser, proposer des ressources, réfléchir comment aborder telle ou telle problématique. Pour moi c’est ce qui compte : qu’elles soient actives, volontaires et impliquées dans leurs apprentissages. Elles le savent, nous en parlons souvent. Quand Émy a le blues du dimanche soir parce que la semaine recommence, je lui décris sa vie : elle se lève à 8h, 8h30 quand les autres enfants sont déjà à l’école en train de travailler. Avant de prendre son petit déjeuner, elle lit un peu sur le canapé, on fait un gros câlin. Elle mange à sa vitesse, c’est à dire très lentement. Elle choisi ensuite ce qu’elle veut faire de sa journée. Bref... la belle vie quoi ! Nous rions de son blues du dimanche et elle en rit aussi après, parce qu’elle se rend compte qu’elle a bien de la chance, elle qui n’aime pas qu’on la force !

 

Le japonais de Liv

 

Prépares-tu des choses en avance pour tes filles ? Des cours, des supports ?

Pour ce qui est des cours, vous l’aurez compris, il n’y en a pas. Je ne prépare pas de cours, je ne donne pas de leçons. Je suis et nourris les intérêts de mes filles, je donne des idées de choses à aborder, je fournis des ressources. Je crois que chercher des ressources est ce qui me prend le plus de temps, chercher comment rejoindre leurs intérêts, comment les nourrir et leur apporter du contenu. Ensuite, je ne peux pas les forcer à ingurgiter quoi que ce soit !
Si elles ont besoin de moi pour comprendre quelque chose je suis là; si je ne sais pas, je cherche avec elles et nous apprenons ensemble. Elles m’apprennent aussi souvent des choses. Pensiez-vous que je connaissais l’existence du Hindenburg et de son histoire ?
Il arrive des fois que je fasse des recherches plus poussées sur un sujet pour le proposer aux filles, car je pense que ça serait intéressant de l’aborder (par rapport à un sujet d’actualité, ou quelque chose que les intéresse). Par exemple elles ne se sont pas intéressées aux guerres d’elles-mêmes (pas étonnant !) et nous abordons plutôt l’Histoire en partant des gens et de ce qu’ils ont apporté au monde (par exemple avec le livre Combien de pas jusqu’à la lune)... Nous avions déjà eu l’occasion de lire ensemble des témoignages émouvants sur la seconde guerre mondiale, mais pas sur la première. J’ai donc proposé une lecture offerte « Cheval de guerre de Michael Morpurgo) et j’ai fait quelques recherches pour me rafraichir la mémoire et pouvoir leur raconter le contexte de la guerre. Les filles ont adoré cette lecture et nous avons ensuite regardé le film en famille.
Sur un tout autre sujet, en ce moment je regarde un cours en vidéo sur l’histoire de l’animation japonaise que Liv m’a demandé de regarder pour elle et de lui raconter. L’audio est en anglais mais la personne a un fort accent qu’elle a du mal à comprendre; elle a l’impression de manquer des morceaux d’information. Je fais donc ça pour elle avec plaisir et j’en apprends beaucoup au passage !

Quels supports et ressources utilisez-vous pour le collège ?

Pour le collège, comme pour l’élémentaire, nous utilisons de tout en terme de ressources. Cela peut-être des manuels, des livres documentaires, des romans, des cahiers d’exercices, des vidéos et tutos, des documentaires, des cours en ligne... en réalité il n’y a pas un type de ressources, mais tout ce qui correspond aux besoin du moment.

Liv cette année suit un cours de japonais avec une prof (sur Italki), elle travaille aussi seule avec un cahier d’exercices Assimil, elle regarde des vidéos en japonais et des animés. Pour l’anglais, elle lit beaucoup en anglais, discute avec ses amis anglophones et elle a aussi un cours de littérature anglaise en ligne avec un groupe de homeschoolers anglais (par zoom). Elle utilise le fichier de Carpe Diem pour la chimie, comme mentionné plus haut, + des reportages et nous faisons des expériences. Pour les maths elle utilise le manuel scolaire + les vidéo de Mic Maths pour le fun, elle lit aussi le livre de Michael Launay Le théorème du parapluie. Pour la biologie elle a choisi le livre Nature Anatomy qu’elle utilise avec un livret de travail, et elle fait aussi des recherches personnelles dans un journal créatif. Pour l’histoire, elle lit The Story of the World tome 4, regarde des documentaires, lit des livres vivants, fait des recherches...Elle réalise ensuite de jolie planches visuelles mêlant textes, dessin et photos sur sa tablette. 
Je n’ai pas tout en tête, mais cela vous donne une idée. C’est selon les envies et les sujets étudiés. Ça dépend aussi des projets. Liv a décidé de créer un blog sur le Japon, elle fait donc des recherches pour écrire des articles. Elle veut aussi dessiner un manga (j’en parle plus tard) et cela lui demande beaucoup de travail et de recherches. En parallèle de tout cela, elle continue de développer son talent artistique en dessinant, elle réfléchi au moyen de créer une boutique pour vendre des impressions.

 

La passion du skate

 

Comment fais-tu quand les intérêts de tes filles ne résonnent pas forcément avec vos valeurs ou ce qui t’attire personnellement ?
Par exemple quand on aime soit-même la musique classique et que nos enfants se découvrent une passion pour la musique électronique ?

Je suis désolée, je ne vois pas où est le problème. Chacun aime ce qu’il veut. Parfois accompagner les intérêts de nos enfants nous amène à faire des choses qu’on ne pensait jamais faire ou s’intéresser à des sujets que l’on ne pensait jamais aborder. Quand Émy a demandé un skate pour son anniversaire à 7 ans, je n’y aurais jamais pensé moi-même. Je ne me suis jamais intéressée au skate, ni à cet univers. Au départ, elle en faisait juste comme ça de temps en temps, puis l’intérêt a grandi et une passion est née quand elle a découvert le longboard dancing, une des nombreuses discipline du skate (ça non plus je ne le savais pas...). Avec elle j’ai appris qu’il y a des tas de skates différents, de formes et longueurs variées qui servent différents objectifs.
Émy aime donc le dancing, le pumptrack et la vitesse. Elle a découvert le dancing par le biais d’une vidéo You Tube de Lotfi, un pro de cette discipline et m’a dit qu’elle voulait faire exactement ça ! Donc nouvel anniversaire, nouvelle planche, – puisque les deux précédentes n’étaient pas faites pour ça – et il a fallu trouver où faire du longboard dancing à Lyon... Quand on n’est pas du milieu, qu’on ne connait personne qui skate, ce n’était pas facile. Il n’y a pas d’écoles, comme vous pouvez vous en douter. Bref, j’ai fini par trouver un groupe FB de longboarders qui se réunissent de temps en temps. Je m’y suis inscrite et nous sommes allées toutes les deux à une rencontre. Je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Quand Émy est arrivée, sur sa belle planche made in Lyon, elle a fait sensation. Déjà parce qu’elle était la seule enfant, et aussi parce qu’elle se débrouillait assez bien. Rapidement, elle a trouvé quelqu’un qui lui a expliqué des choses et c’était parti pour une session de 2h avec tous ces jeunes (et moins jeunes) passionnés de longboard, chacun y allant de son conseil, aux petits soins avec elle. Depuis, par le biais de ces rencontres, nous lui avons trouvé un prof qu’elle voit tous les 15 jours pour 2h de cours particulier. Si nous ne sommes pas ouverts et intéressés par les intérêts étonnants de nos enfants, de telles ouvertures ne peuvent pas arriver. Émy encore, qui fait de l’aïkido depuis longtemps, voulait faire plus d’armes, et elle pensait au sabre coréen. Pourquoi coréen, parce que par l’intermédiaire de son groupe de musique préféré, les BTS, elle s’intéresse à la Corée. Vivre dans une grande ville n’est pas toujours facile, mais au moins on a le choix pour les activités, car figurez-vous que j’ai trouvé un club de Haidong gumdo à quelques stations de métro ! Émy a entrainé son papa, qui a aussi essayé le cours, et comme il n’y avait personne sur le créneau du mercredi pour les enfants, Émy suit maintenant le cours du jeudi soir avec les adultes et son papa. Elle est dans son univers et discute de mangas et d’animés avec les élèves, tous des passionnés comme elle. Mes deux filles sont complètement dingues de mangas et d’animés. Ce n’est pas ma tasse de thé mais cela ne m’empêche pas d’aimer quand elles me racontent les scénarios des manga qu’elles lisent, qui sont en général bien ficelés et plutôt profonds. Mes deux filles ont récemment eu envie de faire le cosplay d’un personnage de manga, et encore une fois, bien que cela ne fasse pas du tout partie de mon univers, je les soutiens dans ce projet. J’ai même fait de belles photos pour Émy avec son costume.
Nos enfants nous amènent à sortir de notre zone de confort pour faire des choses inattendues et je trouve cela très chouette !

Liv est inscrite à Clonlara, qu’est ce que cela lui apporte ?

Oui, Liv est inscrite à Clonlara en grade 9 et pourra passer au bout de 4 ans le High School diploma (équivalent américain du bac). Je parle de Clonlara dans un post que vous pouvez lire ici. Clonlara offre un cadre pour passer un diplôme autre que le bac. Liv ne voulait pas du tout passer le bac. Le travail purement scolaire la rebute, et elle ne veut en aucun cas perdre sa liberté de s’organiser comme elle veut, de choisir ses ressources et ses sujets et elle veut pouvoir associer du dessin à tout ce qu’elle fait. Ce qui lui permet Clonlara. Clonlara offre un accompagnement et non un programme. En revanche les étudiants doivent fournir un certain nombre d’heures pour obtenir des crédits, leur permettant à terme de passer le diplôme. Certaines matières sont obligatoires (français, anglais, maths, sciences...) et beaucoup d’autres sont laissées libres, ce qui permet de construire son diplôme selon ses intérêts. De plus une matière obligatoire peut être orientée selon les intérêts de l’étudiant et pas forcément en suivant un programme scolaire et des sujets imposés.

 

Lecture de 20th Century Boys

 

Comment être sûre que tes filles aient le niveau ?
Si elles veulent étudier plus tard dans un domaine scientifique par exemple.

Je ne sais pas vraiment répondre à cette question. Elles ont des niveaux qui sont très différents de ce que l'on peut trouver en classe où tous les enfants sont sensés avancer en même temps selon leur âge et le programme. Liv est très douée en dessin, en langue, en français. Elle dépasse le niveau de sa tranche d’âge je pense. Par contre en maths, elle n’a pas le niveau 3ème car ça ne l’intéresse pas du tout, mais alors pas du tout ! Je pense que si elle voulait étudier dans un domaine scientifique, elle aurait déjà plus d’affinités avec les maths, la physique ou la chimie par exemple. Et si c’était le cas, nous trouverions des ressources pour l’accompagner (pourquoi pas un professeur) et répondre à ses besoins. Je ne pense pas que l’instruction en famille soit un frein pour des études poussées, il faudra juste voir comment ces enfants seront reçus dans les écoles qu’ils convoitent. Ça je n’en ai aucune idée. Nous sommes loin des USA où les homeschoolers sont très appréciés par les grands universités car elles savent reconnaitre leur grande ouverture d’esprit, leur autonomie et leur motivation à travailler pour eux-mêmes.

Comment penses-tu justifier de l’instruction de tes filles auprès des écoles de prépa?
L'ief ne limite-t-elle pas les débouchés classiques (et inversement facilite les débouchés non classiques) ?

Concernant les écoles, pour le moment je n’en ai aucune idée. Nous commencerons à nous renseigner l’année prochaine (qui sera l’année de 2nd de Liv) et en fonction de ce qu’elle veut faire. Avec son portfolio de dessin, ses capacités et son diplôme déjà orienté art, je ne pense pas qu’elle rencontre de problème à rentrer dans l’école de son choix. Nous ne savons pas non plus où nous serons dans quelques années. Je suis persuadée qu’avec un book comme le sien et son enthousiasme pour le dessin il n’y aura pas de soucis, même si elle n’a pas un parcours classique. Émy de son côté n’a encore aucun projets, nous verrons bien.
Quand à la question des débouchés après l’IEF, de manière générale, je n’ai pas de réponse. En France, peu nombreux sont les adultes qui sont passés par là, en tout cas je n’en connais pas personnellement. Il y a cependant quelques belles personnalités qui peuvent nous laisser penser que ça marche plutôt bien, et dans différents domaines :
Marguerite Yourcenar ; Jean d’Ormesson ; Pierre Curie ; Pierre-Gilles de Gennes (un autre physicien français) qui reçoit le prix Nobel de la physique en 1991 pour son travail sur les polymères et les cristaux liquides ; Michel Brunet, professeur au Collège de France, spécialiste de l’évolution des mammifères, titulaire de la chaire de paléontologie humaine ; Andrew Wyeth, peintre ; Emile Reynaud qui se consacre à l’invention et au développement du praxinoscope (il est le créateur du premier dessin animé projeté en France, avant le cinéma) ; Jules Ferry, philosophe, homme politique et politologue français ; Rudy Spiessert, auteur de bande dessinée ; Maud Fontenoy, navigatrice hors pair ; Stéphane Roncada, champion de moto cross mondialement connu. Il y a encore Thomas Edison ; Agatha Christie ; Norbert Wiener, mathématicien brillant et père de la cybernétique ; Orson Welles ; Elisabeth II ; les deux joueuses de tennis Venus et Serena Williams ; les actrices Emma Stone, Jena Malone et Dakota Fanning ; et plus récemment les deux chanteuses Billie Eilish et Grace VanderWaal.

Cela fait une belle brochette, plutôt encourageante. Nos filles ne deviendront pas forcément célèbres (ce n’est pas un objectif !) nous espérons juste qu’elles puissent s’épanouir dans leurs domaines de prédilection.
Et même si on sort d’une grande école, cela ne veut rien dire sur nous ; cela ne veut pas dire que l’on est plus intelligent qu’une autre personne qui n’a pas fait de grande école. Alors pourquoi accorder tant d’importance à ce système éducatif et mettre tant de pression sur nos enfants pour accéder à ces grandes écoles ? On n’est même pas assuré qu’après ces années de pression pour rentrer dans un moule les étudiants trouveront forcément un bon métier. Ce ne sont que des labels, des étiquettes et je ne crois pas en ces valeurs de compétition et de réussite à tout prix. On peut aussi bien vouloir vivre une vie simple et tranquille, sans aspirer à être toujours premier, à avoir toujours plus. Il y a selon moi une idée ancrée que l’école va nous amener à réussir notre vie. Mais il n’y a pas de formule magique, ni à l’école, ni en IEF. Mais ce n’est pas parce que vous n’avez pas de diplôme que vous n’avez pas de valeur et que nous n’allez pas réussir. On embauche de plus en plus les gens en fonction de leur savoir-faire, leur créativité et leur capacité d’adaptation, plus que pour leur diplôme. Je n’ai jamais eu besoin de montrer mon diplôme des arts décoratifs à qui que ce soit. On m’a embauchée pour mon savoir-faire, après un entretien durant lequel j’ai présenté mon book.
Le fait de choisir l’instruction libre est forcément une remise en question du système. Est-ce que je veux participer à ce système capitaliste qui ne nous aide pas vraiment à développer notre personnalité et à savoir ce que nous voulons faire de notre vie. Si ce système me pose question, alors que dois-je faire ? Continuer de le suivre ou le bousculer ? Choisir l’instruction libre c’est réfléchir à la façon dont la société est structurée et apporter sa petite graine. Avec un esprit libre on est ensuite plus libre d’imaginer de nouvelles façon de gagner sa vie, d’imaginer sa vie tout simplement.

 

Cosplay The Promised Neverland

 

Peut-être que vos filles voudrons retourner à l’école au lycée, comment l’envisagez-vous?
Je pense surtout au codes sociaux de cette époque non assimilé par des enfants qui n'y vivent pas au quotidien.

Je ne pense pas que le retour au lycée soit un problème, mais je ne peux pas parler de notre expérience pour l’instant. Autour de nous, les quelques enfants retournés au lycée n’ont pas rencontré de soucis particulier après un petit temps d’adaptation. Si c’est un choix de l’étudiant je suis persuadée que les enfants non scolarisés jusque là ont toutes les capacités d’adaptation nécessaires ; de plus ils savent travailler et ils le font pour eux et non pas pour les notes, ce qui est un atout majeur. Ils seront peut-être conscients des failles et seront je pense plus aptes à prendre du recul par rapport au système.
Quant à la question des codes sociaux, on en revient à la toute première questions sur la socialisation. Nos enfants en IEF ne vivent pas en dehors de la société, dans une bulle hermétique, comme a bien tenté de le faire croire notre affreux ministre de l’éducation. Les enfants en IEF vivent DANS la société et il leur serait bien difficile de ne pas être imprégné par les codes en vogue. Il faudrait réellement vivre en autarcie et ne voir personne, ne pas lire, ne pas voyager, ne pas avoir internet ! Ce qui n’est pas le cas quand on choisi l’IEF ; au contraire, on est appelé à aller voir le monde avec nos enfants. J’ai écrit un billet ici à propos de l’adolescence et je parle des codes sociaux de cet âge. Mes filles sont bien au fait des codes de leur époque qui ne se transmettent pas qu’à l’école visiblement. Cependant, elles n’adhèrent pas à tout (elles sont mêmes parfois très critiques) et choisissent ce qui leur plait.

 

Encore un joyeux bazar !

 

Certains sujets demandent plus d’efforts et de travail que d’autres. Si on ne fait que ce qu’on aime, comment apprendre à faire des efforts ?
Dans la vie, après tout, il y a aussi des taches ingrates, même quand on a un métier passionnant !

Je ne pense pas que l’on apprenne le goût de l’effort en étant forcé de faire quelque chose qu’on n’aime pas. On l’apprend au contraire en étant autorisé à aller à fond dans ce que l’on aime. Et même si parfois c’est difficile, on tient bon, on continue, on s’acharne parce qu’on a envie d’y arriver, de s’améliorer, d’arriver au résultat qui trotte dans notre tête depuis longtemps. Un tel apprentissage est bon pour toute la vie. Bien sûr des fois on a besoin d’un petit coup de pouce, d’un petit remontant de la part d’une personne bienveillante qui ne va pas nous juger ni nous forcer mais trouver les mots justes et peut-être la ressource dont on avait besoin, et puis ça repart et la motivation revient.

Prenons un exemple, c’est plus parlant. Ce matin je vais voir ce que fait Liv dans sa chambre. Elle dessine évidement ! Son occupation presque à plein temps.
On pense souvent que les personnes comme elle qui sont créatives, qui ont comme on le dit un « don » font ce qu’elles font sans effort, grâce à ce don. Mais ce n’est pas vrai. Même s’ils ont des prédispositions, tous les artistes qui vivent de leur art ont bossé comme des acharnés et bossent tous les jours pour atteindre le niveau et la reconnaissance qu’ils ont. Le don ne tombe pas du ciel, par plus que la créativité.

Donc Liv était évidement en train de dessiner quand je suis allée la voir. Elle était sur sa tablette, sur Procreate. Comme je regardait ce qu’elle faisait, elle m’a dit « Punaise, les cheveux, qu’est-ce que c’est dur à rendre... c’est le plus difficile à faire ». Mais elle ne s’est pas arrêtée pour autant. Elle s’est replongée dans son travail de recherche pour rendre les cheveux comme elle l’imaginait dans sa tête. Elle n’a pas baissé les bras devant cette difficulté passagère.
Un autre exemple avec Liv toujours : elle a décidé de créer un manga. En entier, de A à Z, écriture de l’histoire, découpage du scénario en planches, et dessin des planches à l’encre avec des trames, comme dans les vrais mangas. N’importe qui, non passionné de dessin et de manga, que l’on forcerait à faire ce travail serait complètement démuni, rebuté, découragé devant l’ampleur de la tâche. Pas elle, car elle a choisi de le faire. Et même si cela lui paraissait une montagne, elle a commencé. Elle a écrit une histoire et a dessiné des planches, apprenant au passage comment utiliser les feuilles spéciales pour les mangas et comment poser des trames. Pour tout cela, elle s’est débrouillée sans moi qui n’y connait rien de rien. Au bout d’un moment, elle a eu l’idée de scanner ses planches pour poser les trames sur l’ordinateur. Là elle m’a demandé de l’aide car j’ai été graphiste. J’ai réalisé une série de trames différentes, selon ses besoins et je lui ai montré comment créer un masque pour poser ses trames sur ses dessins. Puis à nouveau je l’ai laissée faire. Elle doit avoir aujourd’hui une dizaine de planches de ce manga mais elle a décidé de recommencer à zéro, avec une autre histoire. Évidement, nous en avons discuté. Je trouve ses planches absolument magnifiques et son histoire commence très bien, mais elle m’a exposé les arguments qui l’ont décidée à recommencer : elle a démarré ses planches sans savoir des choses qu’elle sait aujourd’hui, son style change trop d’une planche à l’autre (elle aurait dû faire des recherches de personnages avant), les trames sur les planches du début son mal posées (aux mauvais endroits selon elle)... et d’autres considérations sur son histoire. Elle n’a plus envie d’une histoire qui part dans un monde fantastique comme c’était le cas de celle-là. Voyez-vous, de mon point de vue, j’aurais tout fait pour essayer d’utiliser quand même les planches déjà réalisées, en changeant la suite de l’histoire, en refaisant juste quelques cases.... Mais non, pour elle c’est évident, elle doit recommencer. Je suis donc amplement persuadée que le goût de l’effort vient quand on est libre et pas quand on est contraint.
Vous pouvez aussi lire ce billet écrit il y a 2 ans, sur le gout de l’effort. Vous verrez l’évolution ;-)


Comment les aidez-vous à aller au bout d’un sujet ?

C’est vrai que c’est un point délicat. Elles ont tendance (enfin surtout Émy) à commencer des projets et à les laisser en plan. Dans ce cas j’essaie de discuter pour voir si quelque chose coince : un manque de ressources, une difficulté technique, une panne d’idées… si c’est le cas, on peut toujours débloquer le projet et ça repart. Si c’est du désintérêt et que ça ne revient pas, c’est que l’enfant a fait le tour du sujet pour l’instant ; il a eu ce dont il avait besoin et passe à autre chose. Ça serait contre productif de le forcer à continuer contre son gré. Par contre, pour moi c’est important qu’elles ne laissent pas tomber à la moindre difficulté.

 

Collection de pierres mise à jour avec des nouvelles étiquettes

 

Fais-tu face à des moments de démotivation, comment fais-tu pour les remotiver à travailler ?

Ça rejoint un peu la question précédente, je le aide par mon soutien à rester motivées. Mais comme elles ont toutes les deux la liberté d’explorer leurs intérêts aussi longtemps et profondément qu’elles le souhaitent, elles sont généralement motivées par ce qu’elles font puisqu’elles l’ont choisi.
Mais prenons encore un exemple, car c’est toujours plus concret : Émy aime se faire des programmes quotidiens et aime les suivre à la minute près. Elle est plus motivée de cette façon et aime suivre son planning. Cependant, certains jours c’est compliqué car il y a des imprévus, et ça la mine de ne pas avoir réussi à tout cocher.
Récemment elle est devenue très frustrée par son programme et n’avait pas envie de faire ce qui était écrit, mais se sentait obligée puisqu’elle l’avait écrit !! (je précise que c’est elle qui fait cela de son plein gré, je n’y suis pour rien !). Nous avons discuté et noté plusieurs idées : laisser tomber les programmes et faire selon son inspiration du moment, faire un programme plus léger pour laisser de la place à l’improvisation... ou faire un programme pour la semaine, sans préciser les jours, et cocher au fur et à mesure ce qui est fait. Cette dernière idée lui a plu et pour l’instant ça lui convient. Elle était contente au bout d’une semaine d’avoir pu tout cocher, ouf !
J’ai choisi cet exemple pour montrer que chacun peut trouver sa motivation de façon complètement différente, et qui sommes-nous adultes, pour décider de comment chacun doit apprendre ? À partir du moment où chacun peut décider de comment, quand et combien il va apprendre, la motivation est là, puisque cela vient de l’intérieur.

Cela étant dit, il y a bien entendu des moments où ni l’une ni l’autre n’a envie de se mettre au travail. Émy veut bricoler et Liv veut dessiner. Et alors ? Est-ce grave ? Liv apprend en dessinant et Émy apprend en bricolant : elles apprennent à faire des choix, à utiliser leur créativité, à persévérer, à aller au bout d’un projet, à trouver les ressources nécessaires...  et à l’issue du dessin ou du bricolage, elles sont motivées pour autre chose.

Donc tu ne les forces jamais à travailler ?

Non, mais ça marche parce qu’elles sont responsables de leurs apprentissages. L’idée que l’on puisse apprendre sous la contrainte je ne la comprend pas. Il faut de l’enthousiasme, de l’intérêt, il faut que l’esprit soit ouvert aux apprentissages, volontaire et curieux. Sous la contrainte c’est l’inverse. L’ enfant est fermé et aucun apprentissage ne peut avoir lieu. Quand Émy est trop démotivée et dit ne pas vouloir travailler, je lui demande ce qu’elle aurait envie de faire et on cherche comment intégrer cela à des sujets qu’elle aime ou des projets en cours. Récemment, elle m’a répondu : Je veux faire quelque chose sur l’ordinateur. Après lui avoir expliqué que l’ordinateur est un outil, un moyen pour réaliser quelque chose, je lui ai proposé se faire un exposé animé, avec Keynote (qu’elle a découvert pour la première fois ce jour-là) à partir des recherches qu’elle avait déjà faites sur la Corée. Elle a aimé l’idée et s’est lancée, après quelques explications rapides de ma part sur la prise ne main du logiciel. Elle s’est débrouillée toute seule et était très fière du résultat.

Comment décris-tu ton rôle auprès de tes filles ?

Mon rôle est plus de remarquer les choses qui les intéressent et les nourrir, leur fournir les ressources, les accompagner mais je ne suis pas complètement impliquée dans leur travail. Liv aujourd’hui n’a plus envie de ça. Elle veut gérer comme elle l’entend, cependant elle sait que je suis là pour la soutenir. Je ne représente pas une autorité, un standard, je suis une ressource disponible. Et je pense que ma disponibilité est essentielle.

Je ne les laisse pas livrées à elle-même, je suis présente, même si je ne fais rien en particulier et que je travaille à leurs côtés. Je pose l’ambiance. Mon attitude réside vraiment dans le simple fait d’être là, présente, de remarquer ce qui les intéresse et les aider, mais jamais d’une façon autoritaire et coercitive. C’est seulement avec une ambiance dans laquelle les enfants se sentent vraiment libres que l’on peut avoir une instruction libre. Pas en les dirigeant, pas en les forçant. Pourquoi d’ailleurs faisons-nous cela à nos enfants ? Aucun adulte n’accepterait d’être obligé tous les jours d’apprendre des choses qui ne sont pas pertinentes pour lui.
Mon mari, par exemple, s’est formé en autodidacte pour devenir designer graphique. Il n’est pas passé par une école (elles n’existaient même pas à son époque !). Ses professeurs au lycée ne savaient même pas que le métier de web designer existerait un jour, comment auraient-ils pu l’orienter ? Aujourd’hui après 20 ans dans le métier, on peut dire qu’il est expert, en ayant toujours appris par lui-même, en se mettant à jour au fil des innovations technologiques (le web design n’a rien à voir aujourd’hui avec ce qu’il était quand internet a démarré). C’est pourquoi je ne m’inquiète pas trop de ce qu’il faudrait apprendre selon l’éducation nationale. Nous ne pouvons pas imaginer les métiers que nos enfants inventerons, et quand on veut apprendre quelque chose, une fois que l'on sait apprendre, que l’on est motivé, on peut le faire, on peut tout apprendre, et c’est cela que j’aimerais que mes filles apprennent en premier !

Ton mari participe-t-il à l’instruction ? Comment convaincre un/une partenaire réticent.e ?

Le rôle de mon mari est différent. Il travaille à l’extérieur en ce moment. Cela n’a pas toujours été le cas, mais même quand il était avec nous, il ne prenait pas directement part à l’instruction.
Cependant il est présent et intéressé et surtout il faut le dire, c’est grâce au fait qu’il travaille, contrairement à moi, à plein temps que nous pouvons faire l’IEF. Je travaille aussi, mais évidement, mon temps est restreint. Donc même s’il n’est pas avec nous à la table de travail, sans lui, ça ne serait pas possible, ou il nous faudrait trouver une autre organisation (dans certaines familles les deux parents travaillent à mi-temps et se partagent l’instruction). Pour que l’IEF fonctionne, il faut à mon avis, trouver un équilibre entre chacun des membres de la famille. Quant à convaincre un ou une partenaire… je ne n’ai pas de recette, à part la discussion, regarder ensemble des reportages, lire des articles de blog, aller à des rencontres avec des familles. En lecture je conseillerai John Holt (Les apprentissages autonomes), Pierre Lepri (La fin de l’éducation, Education authentique, pourquoi ?), Peter gray (Libres pour apprendre), Joan Domenech Francesh (Éloge de l’éducation lente). Il faut aussi se dire que c’est tout à fait légitime d’avoir peur de se lancer dans cette voie. Nous avons été formaté pour penser que pour réussir sa vie il faut passer par l’Éducation nationale.

 

En promenade avec Gilou

 

J’ai du mal à saisir comment mener cette instruction libre tout en répondant aux attentes de l’Education nationale...

J’en ai déjà un peu parlé. Je m’informe des attendus de fin de cycle, car en réalité, la loi ne nous demande pas de suivre les programmes mais d’amener nos enfants aux attendus de fin de cycle. Ceux-ci sont des repères, et honnêtement, je ne les consulte que lorsque nous avons une inspection. Je suis toujours positivement surprise de constater que sans rien faire de spécial pour les atteindre, les filles ont déjà la plupart des attendus demandés.
Ce que nous faisons pour les inspections est que nous présentons un large éventail de la production des filles, qu’elles sont toujours ravies d’expliquer. Ainsi cela ne laisse pas de doute sur le fait qu’elles s’intéressent à plein de choses, abordent beaucoup de sujets et sont en contact avec des grandes idées porteuses de sens et de valeurs. Nos inspecteurs ou inspectrices se rendent bien compte qu’il y a une culture riche et variée, une ouverture et une capacité à partager, expliquer ce qu’elles ont acquis et surtout un enthousiasme d’apprendre. Je pense que cela leur suffit amplement pour se rendre compte qu’il y a une instruction. Je croise les doigts pour que ça continue comme ça malgré la chasse aux sorcières amorcée par l’Éducation nationale...

Quand on a choisi de suivre le programme (avec le CNED par exemple) comment apporter un peu de fun,
rendre cela plus ludique ?

Difficile de répondre puisque nous n’avons jamais suivi de cours par correspondance. Si c’est choisi par l’enfant tant mieux, si c’est imposé et que l’enfant n’aime pas, il faut revoir ce choix. Si l’enfant est partant et que les cours l’ennuient de temps en temps, que la motivation n’est pas toujours là, j’essaierais de trouver d’autres ressources pour travailler les sujets du cours autrement (des jeux, des reportages, des lectures sympas...). Le parent accompagnant les leçons pourrait aussi les lire ou regarder les vidéos (qui sont des fois barbantes) et le raconter de manière vivante à l’enfant. Mais bon, c’est dur de répondre sans connaître ni l’enfant ni le contexte, et dans un premier lieu, il conviendrait de se poser la question de ce choix s’il n’est pas apprécié par l’enfant directement concerné. Nous ne sommes pas habitués à laisser à nos enfants la possibilité de choisir pour eux, cela ne les responsabilise pas et ne montre pas que nous leur faisons confiance.

En laissant ainsi vos filles faire ce qu’elles veulent, n’avez-vous pas peur d’être trop libertaire ?
Où se situe le juste milieu entre autoritarisme et enfant-roi ?

Nous vivons avec nos filles dans une relation réciproque de respect. Nous respectons qui elles sont, ce qu’elles aiment, ce qu’elles veulent faire de leur vie, tout en étant là pour les guider, leur montrer l’exemple, leur apporter aide et soutient. Comme nous les respectons, elles nous respectent. La question des limites que posent les adultes sur les enfants m’a toujours mise mal à l’aise. Pour moi les limites sont naturelles ; elles s’arrêtent naturellement là où celles des autres commencent et nos enfants apprennent cela progressivement en grandissant avec des adultes qui les respectent et respectent leur limites. Ils nous imitent tout simplement. Nous ne devrions pas avoir besoin d’imposer des règles à nos enfants (sauf quand il s’agit d’une situation dangereuse pour eux ou pour autrui).

Cependant, parmi les parents qui ne veulent rien imposer il y a ceux qui laissent leur vie de famille se faire envahir par le chaos. À force de ne pas dire non, ça devient n’importe quoi : Max veut jouer de la batterie à 21h, alors que le bébé a vraiment besoin de dormir et Adèle a très faim parce qu’au moment du repas elle avait autre chose à faire. Elle veut qu’on lui prépare à manger. Les deux parents sont fatigués et ne rêvent que d’aller dormir, et tout le monde est mécontent car ses besoins ne sont pas entendus. Avant d’en arriver là, il faut construire une relation où chacun apprend à écouter les besoins de l’autre pour ne pas créer de frustration. Je suis mal à l’aise dans les familles où les enfants font ce qu’ils veulent sans considération pour les autres. Pour moi ce ne sont pas des enfants roi, mais des enfants qui n’ont pas appris le respect parce que leurs parents ont tout accepté, même ce qui allaient à l’encontre de leurs propres besoins.

Pour ma part, j’ai toujours mis plus d’importance dans la construction d’un rythme familial que dans des règles imposées sans raison apparente pour l’enfant. Il y a des choses qui sont importantes pour nous et nous les transmettons à nos enfants, ça fait partie des valeurs de notre famille et les enfants les intègrent de manière naturelle en grandissant, de la même manière qu’ils intègrent les règles du vivre ensemble en nous imitant.

N’y a-t-il pas plus de conflit entre toi et tes filles ou entre elles du fait de tout ce temps passé ensemble ?

Il n’y a pas plus de conflits entre-nous que dans n’importe quelle famille je pense. Je dirais même le contraire car le fait de passer tant de temps ensemble nous a rapproché et les filles sont devenues très complices. S’il y a eu des périodes durant lesquelles elles se chamaillaient plus souvent, ça n’est jamais allé très loin (elles n’ont jamais frappé ou mordu) et aujourd’hui elles sont très proches, inséparables. Elles se connaissent très bien, elles évoluent ensemble, et bien que très différentes elles ont beaucoup d’intérêts communs. Elles s’écoutent et se respectent. Je trouve que leur complicité est belle à voir, loin des clichés sur les ados qui se détestent et se critiquent entre frères et soeurs (c’est comme ça dans presque tous les livres français avec des ados et une fratrie qu’elles lisent et me le font souvent remarquer. Je trouve cela triste). 

Et avec moi non plus pas de souci. Nous sommes aussi très proches, mais ma relation est également très différente avec chacune. Émy est très tactile, elle a encore besoin de beaucoup de câlins, elle veut passer du temps avec moi. Liv est largement plus indépendante et cela depuis longtemps. Elle n’aime pas trop les câlins mais nous sommes aussi très proches. J’aime bien discuter avec elle et connaître le regard qu’elle pose sur le monde. Je me trouve chanceuse de pouvoir passer autant de temps avec mes filles. On se connait hyper bien et on s’apprécie !

Comment permettre à chacun/chacune d’avoir son jardin secret ? Et le temps passé ensemble et la superposition des casquettes ne créent-il pas de collusions ?

Nous avons appris je pense à vivre de cette façon, tout le temps ensemble, et cela ne nous pose pas de problèmes, enfin, il ne me semble pas ! Liv cette année préfère souvent travailler dans sa chambre, seule, alors qu’Émy est généralement avec moi à la grande table. Cela répond probablement à un besoin du moment.
Quant à l’aspect suivant, puisque je ne joue pas le rôle d’enseignante auprès de mes filles, je n’ai pas le sentiment d’avoir plus de casquettes que n’importe quelle maman (ou papa) qui gère enfant, travail et maison. Et je ne crois pas qu’il y ait un risque de collusion, en tout cas pas chez nous. Mes filles sont hyper complices, mais ça ne leur viendrait jamais à l’idée de se liguer contre moi. Quand quelque chose ne va pas, elles me le disent et nous cherchons une solution ensemble.

 
 

Elles sont ados maintenant, quelle est la place du smartphone pour elles ? 

De manière générale, nous avons dès le départ expliqué aux filles que l’usage des écrans (ordinateurs, téléphones, tablettes) devait d’abord servir à créer quelque chose, faire des recherches...que c’était avant tout des outils. Pourquoi ? Pour ne pas tomber dans la seule consommation. J’essaie de leur transmettre l’idée qu’il faut créer plus que consommer. Pour le moment, elles n’ont pas de téléphone portable, mais des iPods, ce qui leur permet d’écouter de la musique et de discuter avec les amis (via Discord ou par texto) mais seulement depuis la maison ou quand elles ont une connexion internet. Elles ont toutes les deux un compte Instagram, mais elles n’y accèdent que sur mon téléphone car ces deux comptes sont rattachés au mien. Quand elles me réclamaient d’avoir Insta, je me suis posée la question de ce que cela pouvait leur apporter, si ce n’est l’envie d’y passer du temps à scroller et consommer du contenu. C’est le risque avec ce genre d’applications. Puis je me suis questionnée sur mon propre usage d’Instagram et de ce que cela m’a apporté jusqu’à présent : de l’inspiration et des idées, du partage et des rencontres virtuelles, devenues parfois réelles et surtout de nombreuses amitiés, un groupe de homeschoolers mondial... Je partage ce que j’aime, ce qui m’anime et cela m’a permis de rencontrer des personnes magnifiques avec les mêmes valeurs. Instagram, contrairement à d’autres réseaux sociaux, m’a attirée car il est au départ axé sur l’image. Comme j’aime créer des images, c’était pour moi un moyen rapide de les partager, accompagnées de mes idées. Donc après discussion avec les filles, nous avons convenu que je pouvais leur créer un compte (les mineurs n’ont pas le droit de le faire seuls) si elles se concentraient sur le partage des choses qui les animent, dans le but de se connecter avec d’autres personnes ayant les mêmes intérêts, pour échanger et partager. Liv évidement partage du dessin (depuis peu, elle a effacé tous ces dessins et se concentre sur le creative journaling ) et Émy partage sur le skate, plus précisément le longboard dancing. Et c’est tout.

Elles n’ont pas accès à Tik Tok, Facebook ou autres applis de ce genre. De toute façon, ça ne leur fait pas envie.
Il est normal que nos enfants soient attirés par les écrans puisque ça fait partie de leur culture et qu’ils sont envie de s’approprier la culture. Toutefois, nous devons veiller à ce qu’ils ne tombent pas dans l’addiction et se détournent du « monde réel ». J’ai toujours eu le sentiment qui si le monde réel était plus attrayant que le monde virtuel il n’y aurait pas d’addiction. Et si nous utilisons ces écrans pour créer plus que pour consommer, cela nous connecte avec le réel.
Je suis tombée récemment sur cette idée développée et expliquée par André Stern dans son livre Les rythmes et les rituels de l’enfant. Je vous en donne un extrait, vous verrez ça donne à réfléchir : « Je suis convaincu que l’effet addictif des écrans n’est qu’un symptôme. Alors qu’elle est en la cause ? Pour aller droit au but : le fait que le monde virtuel soit le seul à offrir à nos enfants un espace au sein duquel ils peuvent être ce qu’ils veulent être – des héros– et faire ce qu’ils veulent – jouer – alors que le monde réel ne cesse de leur donner à ressentir que jouer est une activité dérisoire destinée aux instants où l’on se repose [...]. Autrement dit, du point de vue d’un enfant, le monde virtuel est bien plus attirant que le monde réel. [...] En conséquence notre vrai chantier n’est pas d’interdire le monde virtuel, mais bien de rendre le monde réel aussi attirant que l’est le monde virtuel. [....] La problématique fondamentale est dont bien en amont des écrans. »

Le message ici est très simple : à nous de veiller à la qualité du temps que nos enfants passent en dehors des écrans, tout en ayant un regard sur la qualité de ce qu’ils consomment quand ils sont sur les écrans.
Mais cela ne se fera pas en imposant et en jugeant, mais par la discussion et le respect des intérêts de nos enfants. Et il ne faut pas hésiter à informer nos enfants sur les potentiels problèmes liés à une forte consommation d’écran (la concentration qui s’étiole, l’incapacité à rester sans rien faire sans dégainer son téléphone, un besoin de reconnaissance…) et les dangers comme la violence ou la pornographie, les fausses informations.

Pour continuer sur le thème de l’adolescence, comment générer l’envie de travailler chez les ados?

Je pense que cela passe en premier lieu par la liberté et le respect de ce qui les intéresse : liberté de choisir leurs sujets d’étude, de ne travailler que sur une seule thématique pendant un temps indéterminé, d’utiliser les ressources qui leur correspondent. L’envie de travailler ne viendra pas de l’extérieur, par des contraintes imposées, des menaces ni même des récompenses. Elle viendra de l’intérieur, mue par un enthousiasme personnel, un élan vers les choses et le monde, vers la culture dans laquelle il vivent. À cet âge les enfants ont plus que jamais besoin qu’on leur fasse confiance, qu’on les écoute, qu’on les respecte et qu’on les aime pour tels qu’ils sont, pour qui ils sont en train de devenir.

Quand Maria Montessori parle des adolescents, elle dit qu’il ont besoin de se sentir présents dans une communauté,
gérer de plus en plus de choses... Comment leur donner cette possibilité en famille et avec leurs parents qu'ils
connaissent depuis leur naissance ?

L’autonomie de l’enfant grandi avec lui, au fil des années, et arrivé à l’adolescence, il est un peu les pieds entre deux mondes : celui de l’enfance et celui de l’âge adulte. Pour se préparer à se débrouiller tout seul le moment venu, il teste des choses, se détachant de plus en plus de ses parents, tout en ayant un port d’attache fort, fiable et stable : sa maison, sa famille, l’amour inconditionnel de ses parents.
Je ne pense pas que l’instruction en famille soit une barrière pour les adolescents qui ont envie d’aller découvrir leur communauté, de gérer plus de choses concernant leur vie. Au contraire même, n’étant pas tenus d’être tous les jours à l’école du matin au soir, ils ont plus d’occasions pour aller dans le monde et de rencontrer de nouvelles personnes d’âges et de compétences variées. Ils sont aussi plus responsables de leur propre vie, en premier lieu car ils sont déjà responsables de leur éducation.
L’année dernière Liv, inscrite à Clonlara, a eu le droit d’être sur le serveur Discord de l’école (c’est à partir de 13 ans). Elle s’est créé un compte, en refusant mon aide, et s’est débrouillée bien mieux que je ne l’aurais fait pour comprendre le fonctionnement de cette plateforme, assez complexe de mon point de vue. Elle a ensuite décidé de créer un club manga (les élèves de Clonlara utilisent Discord pour papoter, travailler ensemble, mais aussi pour créer des clubs sur diverses thématiques.) Liv donc, du haut de ses 13 ans, a pris contact avec l’administrateur des clubs auquel elle n’a jamais parlé, a créé le sien, a lancé une discussion pour savoir qui serait intéressé et ensemble ils ont choisi le jour. Elle a pris le lead des réunions, a organisé les conversations... etc... sans jamais avoir fait cela auparavant. Pour moi c’était un bel exemple d’indépendance.
Émy va maintenant à ses cours d’aïkido toute seule et elle rentre parfois avec des copines qui viennent un peu à la maison. La prochaine fois, m’a-t-elle prévenue pour ne pas que je m’inquiète, elle ira un peu chez l’une d’elles avant de rentrer. Et ensemble, elles ont prévu de se faire un ciné un samedi après-midi. Pour ma part, tant qu’elle est à l’aise avec ce qu’elle fait et qu’elle me tient informée, cela me convient. 

Tes filles savent-elles déjà ce qu’elles veulent faire plus tard ?
Sont-elles déjà spécialisées dans un domaine de prédilection ?

Non, elles ne savent pas encore ce qu’elles veulent faire plus tard. Liv sait cependant qu’elle se dirigera vers un métier artistique, avec du dessin. Elle oriente son bac de cette façon, avec beaucoup de dessin et de créativité dans ses études. Émy dit qu’elle ne sait pas, et ça commence à la questionner un peu. Elle aime plein de choses. Nous lui disons de profiter (elle n’a même pas 12 ans) pour explorer tous les domaines qui lui plaisent. 

Est-il déjà arrivé que tes filles veuillent retourner à l'école? Et si oui, quelles ont été vos réflexions, décisions?

Mes filles ont toujours eu le choix de retrouver à l’école. D’ailleurs, quand nous avons décidé de faire l’IEF nous leur en avons parlé et leur avons demandé si elles avaient envie d’essayer. Bon, elles avaient 7 et 5 ans, donc je pense qu’à cet âge, l’idée de ne pas aller à l’école peut plaire à presque tous les enfants. Mais quand même, elles auraient pu préférer rester à l’école pour être avec leurs amis tous les jours. Ensuite, chaque année nous leur avons demandé si elles souhaitaient continuer et la discussion est toujours ouverte. De même, elles savent qu’elles peuvent essayer l’école et arrêter si ça ne leur plait pas.
En fin d’année dernière Émy se posait la question, car elle voulait voir des amis tous les jours. Mais en pesant le pour et le contre (le devoirs, les heures à passer assise, les cours et les sujets imposés...) elle a décidé qu’en fin de compte elle préférait sa liberté. Elle a quand même voulu aller passer une journée dans une école démocratique pour voir ce que ça donnait mais elle n’a pas beaucoup aimé l’ambiance. Liv quant à elle n’est pas du tout décidée à retourner à l’école, elle ira après le bac probablement dans une école d’art ou dessin.

En fin d’année dernière Émy se posait la question, car elle voulait voir des amis tous les jours. Mais en pesant le pour et le contre (le devoirs, les heures à passer assise, les cours et les sujets imposés...) elle a décidé qu’en fin de compte elle préférait sa liberté. Elle a quand même voulu aller passer une journée dans une école démocratique pour voir ce que ça donnait mais elle n’a pas beaucoup aimé l’ambiance. Liv quant à elle n’est pas du tout décidée à retourner à l’école, elle ira après le bac probablement dans une école d’art ou dessin.

 

Une maison pour Noisette (déjà adoptée)

 

Comment te positionnes-tu par rapport aux différentes pédagogies ? Tu as beaucoup utilisé Montessori dans les premières années.
Dans ton blog tu parles aussi d'apprentissages autonomes, de la pédagogie Charlotte Mason… alors que il y a des différences très importantes dans ces visions.

En effet, j’ai démarré mon excursion dans l’éducation avec la pédagogie Montessori. Mais ce qui m’a le plus touchée et marquée n’est pas tant le côté pédagogique –très en vogue commercialement– mais sa philosophie, sa façon de voir l’enfant, qui encore aujourd’hui reste malheureusement en dehors des sentiers battus. Alors, oui Maria Montessori m’a beaucoup influencée, depuis la naissance de Liv, et aussi quand nous avons commencé l’instruction en famille. Cependant, même si j’avais du matériel, je n’ai jamais cherché à reproduire une classe Montessori chez moi. D’une part, ça serait hors de prix pour juste 2 enfants (le matériel est normalement manipulé par une classe de 30-35 enfants pendant des années, d’où sa solidité – et son prix) et ensuite justement parce que la vision de Maria a été construite par l’observation des enfants agissant dans un environnement spécifique, celui d’une classe. Elle disait d’ailleurs qu’il fallait un grand nombre d’enfants pour que l’émulation se produise : les grands aident les petits (et apprennent au passage), les petits observent les grands et les prennent comme modèles, des groupes se forment pour travailler à plusieurs, chacun apprend à apporter sa contribution pour prendre soin de l’ambiance collective, apprend à être responsable de son propre bien-être mais aussi de celui des autres.
À la maison, on peut s’appuyer sur le matériel, mais il n’est pas possible d’avoir une ambiance de classe. Toutefois, la vision de l’enfant véhiculée par Maria Montessori est importante et m’a guidée dans ma façon d’appréhender les apprentissages : l’enfant porte en lui le plan de son développement est une découverte de Maria et l’adulte doit arrêter d’imposer à l’enfant un plan extérieur à sa nature. D’où le libre choix des activités. Maria Montessori a aussi fait tomber de nombreux préjugés liés à l’enfance : les enfants ne sont pas par nature capricieux, turbulents, destructeurs... Si on ne met pas des bâtons dans les roues de la trajectoire de leur développement, rien de tout cela ne se produit, car ils n’ont pas à entrer en lutte contre l’environnement qui les empêchent d’avancer, de grandir et d’apprendre. Maria Montessori avait confiance dans l’enfant, une confiance profonde et sans aucune idées préconçues. Voilà tout ce que j’ai appris de Maria pour éduquer mes filles, et je suis sûre qu’une grande confiance réciproque s’est installée entre nous. Je les écoute, elles m’écoutent et nous nous respectons entièrement. C’est pour cela que tout naturellement, en plus du matériel Montessori qui venait comme une aide, nous nous sommes orientés vers les apprentissages libres, ceux qui viennent de l’enfant, les vrais apprentissages quoi ! Car tout apprentissage forcé n’est que du gavage inutile.

Quant aux autres pédagogues et courants éducatifs, qu’en est-il ? J’ai bien évidement continué à lire et à cheminer. Je lis au moins 2 livres par mois qui traitent de pédagogie ou de sujets connexes. Je suis donc influencée et nourrie par d’autres idées que celles de Maria. Charlotte Mason, que j’aime beaucoup, faisait une analogie entre notre rôle et celui d’un traiteur qui prépare un buffet : quand on prépare un buffet, on installe tout un tas de mets différents et succulents. Le tout est joliment présenté sur une table et chacun est libre de se servir à sa guise, selon ses envies. Une personne ne va gouter que 2 plats, une autre mangera beaucoup de choses différentes, et une autre encore restera 3h près du buffet à picorer de temps en temps. Mais cela ne viendrait à l’idée de personne de forcer quelqu’un à manger ou à gouter à absolument tout, ou à manger en 1h montre en main. C’est pareil avec l’éducation, disait-elle. Notre rôle n’est pas de faire ingurgiter tel ou tel savoir, mais de mettre l’enfant en appétit, en contact avec des sujets, des idées variées et différentes ; les plus belles idées qui soient insistait-elle. Sans jamais forcer on peut donner envie et ouvrir l’esprit à des univers inconnus.

La place de la nature dans la vision de Charlotte Mason est aussi inspirante. Les enfants y passent beaucoup de temps à jouer principalement, et à observer la nature, les changements infimes, la lumière qui bouge, les dénivelés du terrain... beaucoup d’apprentissages se font en contact avec le réel sans que l’enfant ne fasse quoi que ce soit de particulier.

Je pense que l’on se crée sa vision à soi en s’inspirant des grands pédagogues, auteurs, penseurs, philosophes... je n’ai jamais eu envie de suivre à la lettre une pédagogie et d’appliquer des principes juste pour me rassurer. J’aime beaucoup les écrits de John Holt, Ken Robinson, ou Peter Gray et beaucoup d’autres apportent leur petite graine à ma vision de l’éducation. Et au final, il ne faut pas oublier la chose la plus importante, nous avons beau avoir une vision, ce dont il faut tenir compte en premier sont nos enfants, leur sensibilité, leur caractère, leurs intérêts et leur manière bien à eux de s’approprier des savoirs et des idées. Pour cela, je boucle cette promenade éducative en revenant à Maria Montessori : avant d’agir, observons nos enfants, pour mieux les comprendre, pour ne pas être tout le temps dans l’action, pour prendre du recul et les laisser libres, pour se délecter de les voir faire tout simplement !

Mon frein principal est le côté financier. Comment gère-tu cela ?
As-tu arrêté de travailler ?

Je comprends que le côté financier soit un frein, et de ce point de vue là, je ne peux parler que de mon cas, car c’est différent de famille en famille et chacun s’organise comme il peut, avec les moyens du bords. Chez nous, quand nous avons choisi l’instruction en famille, mon mari et moi travaillions à la maison tous les deux. De part mon travail d’auteure je pouvais m’organiser comme je le voulais et travailler plutôt le matin et le soir pour être dispo pour les filles durant la journée. Évidement, j’ai travaillé moins que lorsqu’elles étaient à l’école, mais comme mon mari a continué son travail à plein temps, on s’en sort.
Je pense que l’instruction en famille apporte avec elle son lot de réflexions, car quand on commence à remuer un peu le bocal, plein de choses remontent : on se questionne aussi sur la consommation en général – l’école est devenue un produit de consommation – et comment consommer moins, mieux, plus sagement. En se rendant compte qu’on n’a pas besoin de l’école, on se rend aussi compte qu’on n’a pas besoin de plein d’autres choses. C’est un moment de chamboulement, de remise en question et on peut en profiter pour remettre à plat notre façon de consommer pour faire des économies.
Je n’ai pas spécialement de conseil à donner sur comment s’y prendre pour gérer école à la maison et travail : j’ai la chance d’avoir un métier qui m’offre liberté et souplesse. J’ai des amis qui travaillent tous les deux à mi-temps et se partagent l’instruction, d’autres où c’est seulement le papa ou la maman qui travaille à plein temps, et d’autres comme nous, où la personne qui prend en charge les journées avec les enfants travaille comme elle peut !

Choisir l’instruction en famille est déjà mettre un pied en dehors d’une voie tracée et définie. Nous n’avons pas d’autre choix que d’être créatifs et d’inventer la vie qui va avec.

 
 

Pour terminer, comment appréhendes-tu la future « demande » que nous devrons faire
à l’inspection académique pour avoir le droit d’être en l’IEF ?

J’essaie de ne pas trop penser à cela pour l’instant, on verra en temps voulu. La loi entre en application en 2022, d’ici là les décrets d’application doivent être écrits. Nous ne savons même pas ce qu’il y aura dedans ! D’ici là aussi il y aura eu les élections et peut-être un changement de direction. De plus, si nous avons un contrôle positif cette année, nous pourrions continuer sans demander d’autorisation avant septembre 2024. À cette date seule Émy sera concernée par l’instruction obligatoire et peut-être que nous ne serons même plus en France, qui sait ? Si nous sommes encore en France, il nous faudra trouver une solution, car Émy affirme qu’il est hors de question qu’on la force à aller à l’école ! Elle a bien raison. C’est vrai, jamais le gouvernement ne s’est préoccupé de ce que pensait les principaux intéressés, les enfants, touchés directement par leur loi inutile.

Pour l’instant nous profitons à fond de notre liberté et on commencera à se poser les bonnes questions le moment voulu. Tout est encore un peu flou pour l’instant.