Une vie entre parenthèses

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J’ai envie de poser ici mes pensées, mais ordonner les mots dans ma tête me demande un effort particulier. D’ailleurs je n’arrive plus à travailler sur mon projet de livre. Je devrais écrire, mais je n’y arrive pas...
Comment mettre les mots sur quelque chose de si nouveau, de si imprévu et impalpable. Il faut du temps pour digérer, du temps pour s’adapter à cette vie entre parenthèses.
Cependant, j’ai envie de m’exprimer ici, plus longuement que sur Instagram, pour vous tous qui êtes soudainement propulsés, sans préavis ni consentement, dans l’instruction en famille ; plongés dans une expérience inédite, inconnue, qui n’a rien à voir avec le quotidien… C’est un sacré challenge pour chacun de travailler à la maison, avec ses enfants à plein temps et e travail scolaire à gérer en plus.

Ce qui compte aujourd’hui, plus que toute autre chose, est d’aider nos enfants à naviguer dans cette atmosphère particulière, à comprendre et exprimer les sentiments confus qu’ils peuvent ressentir. Aussi petits soient-ils, ils sont tous confrontés à la réalité du confinement et du virus, ils ne sont pas épargnés. Que pense le petit de 3 ans qui voit son école fermée, sa routine chamboulée, ses parents travailler à la maison, ses sorties réduites au minimum et les informations permanentes s’infiltrant dans le foyer ?

Il faudrait donner du temps à tout le monde pour s’adapter, pourtant on vous a demandé de plonger tête baissée dans l’inconnu : écoles fermées le vendredi, cours en ligne ou par email dès le lundi. Et l’ajustement dans tout ça ? Personne n’a eu le temps d’organiser ce nouveau quotidien avec tout le monde à la maison. Mais pas de panique, ce n’est pas la fin du monde si un enfant ne fait pas de travail scolaire pendant un mois, deux mois, trois mois même !

Habituellement, quand on me demande des conseils pour démarrer l’instruction en famille, je recommande – et c’est même essentiel – une période de réflexion, d’adaptation, une période pour visualiser comment ça pourrait être. Je recommande aussi de ne pas essayer de recopier l’école, car la maison et l’école sont deux lieux totalement différents, qui n’ont pas le même fonctionnement, où l’on ne se comporte pas de la même façon. L’ambiance et l’alchimie d’un foyer n’ont rien à voir avec celles d’une école ; les paramètres sont différents et les protagonistes, de mêmes que leurs relations, sont différents. C’est, de ce fait, totalement illusoire de tenter d’implanter un système scolaire dans le système familial sans reconsidérer les manières d’apprendre.

La première chose à faire, donc, quand on commence l’instruction en famille, est de réinventer : redessiner le foyer avec ce nouveau paramètre qu’est l’instruction (et le fait accessoirement que tout le monde se retrouve ensemble à la maison) ; imaginer à quoi ressembleront le quotidien et le foyer en y incluant les apprentissages.

Il arrive bien souvent que l’on commence par recopier un peu l’école, en transposant ses principes dans le foyer, pourtant très vite on s’aperçoit que ça ne fonctionne pas bien, en tout cas pas dans la durée ; on se lasse, on s’essouffle et on se rend compte que, finalement, vie et apprentissages sont si entremêlés qu’il devient artificiel de tenter de les séparer pour faire du scolaire. Mais ça, ça vient avec le temps…
Et là du temps vous n’en avez pas eu.

Mais quand bien même, ralentissez, ne foncez pas tête baissée dans les programmes et les plannings. Les professeurs font de leur mieux pour vous accompagner et eux non plus n’ont aucune connaissance de la réalité de l’instruction en famille. Il connaissent l’équilibre d’une classe, ils savent comment enseigner dans une école, ce lieu structuré et construit pour un certain type d’apprentissages. Quand ils vous donnent un planning minuté comme à l’école, ce n’est que dans l’idée de vous aider et d’aider vos enfants à mieux gérer cette étape particulière.
Malheureusement, ce n’est pas si simple. On ne peut pas mettre un morceau d’école dans notre salon.

En tant que parents tout soudainement propulsés dans cet ersatz d’instruction en famille, vous avez quand même une chance à prendre : celle de vous connecter profondément avec vos enfants. Ils ont besoin de vous plus que d’activités et d’exercices de grammaire. Ils ont besoin de réconfort et de connexion. Ils ont besoin de sentir que vous êtes là, présents, enveloppant, aimants.
Donnez-vous la permission de vivre ce temps comme un temps bénéfique pour votre famille. Vous ne pourrez pas faire tous les exercices de toute façon, tant pis ! Vous n’allez pas faire semblant d’être des enseignants et vos enfants ne vont pas faire semblant que vous n’êtes pas leurs parents. Il y a une relation affective entre vous qui change la donne et les apprentissages. Prenez ce temps pour vous connecter, découvrir des passions, créer des liens, transmettre ce que vous aimez, vous soutenir les uns les autres.
Petit à petit vous allez retrouver un équilibre. Il a été malmené, il faut en prendre soin. La vie de famille doit être réinventée le temps de cette parenthèse, et cela me semble bien plus important que l’école ou les apprentissages. Pensez à vos enfants et au stress qu’ils peuvent ressentir avec ce qu’ils voient ou entendent. Au lieu de foncer, pensez à construire votre endurance pour tenir assez longtemps. Il y a si peu de choses que nous pouvons contrôler en ce moment, si ce n’est l’ambiance de notre foyer et la relation avec ceux qui s’y trouvent. Essayons de répondre à cette crise avec résilience, espoir, positivité, gentillesse, calme, force et humour même. C’est ce donc le monde a besoin et nos enfants en premier.

Maria Montessori disait que nous devons éduquer nos enfants à s’adapter, car nous les préparons pour un monde que nous ne connaissons pas. C’est on ne peut plus vrai aujourd’hui.
Sur Instagram, j’ai commencé à vous donner des pistes pour vous accompagner. Ce n’est pas facile car je ne connais pas votre quotidien, ni ce que vos enfants ont à faire pour leurs professeurs. Mais plus que n’importe quelle activité ou n’importe quel planning bien construit, la première chose qui compte, et dont j’ai parlé, est de trouver un rythme. Un rythme calme, naturel, simple et fluide, qui convient à tout le monde. Même si c’est une période très particulière, inquiétante et étrange, on peut le voir aussi comme un message de la planète : ralentir et se recentrer sur l’essentiel, retrouver un rythme plus humain.
Cette crise est un challenge pour l’espèce humaine, car elle touche non seulement à notre santé, mais aussi à d’autres besoins fondamentaux, dont celui de se connecter aux autres. C’est dans cet esprit que j’ai envie de partager sur Instagram, pour ne pas perdre de vue ce qui nous construit tous ensemble : le partage.
Il faut faire de notre mieux pour chasser le pessimisme de notre esprit, pour y faire de la place pour l’acceptation et l’entraide, même si c’est à distance ; pour faire de la place à la résilience et à l’appréciation de tout ce qu’il y a de bon dans une journée : le chant des oiseaux, un dessin de nos enfants, un câlin, un sourire, un gâteau qui sort du four et un rayon de soleil qui inonde la pièce… les voisins qui nous saluent de leur fenêtre, la lecture offerte à toute la famille… Finalement, dans ces moments de crise, où tout est chamboulé et mis à mal, que reste-t-il ? L’essentiel.
C’est l’essentiel qui résiste et qui nous tient debout. À nous maintenant de définir de quoi est fait cet essentiel ; qu’est ce qui est essentiel au monde et à son bon fonctionnement ?

J’ai le sentiment que nous vivons un moment pivot dans l’histoire de l’humanité, et que nous devons en tirer le meilleur en dépit des difficultés. Peut-être que le monde donne une chance à l’espèce humaine de s’améliorer, de se débarrasser du superflu pour pouvoir se recentrer sur ce qui compte, sur l’essentiel.
Nous sommes une espèce fragile vivant dans un petit coin de l’univers miraculeusement oxygéné. Nous ne sommes pas, et clairement nous ne seront jamais complètement maîtres des circonstances dans lesquelles nous vivons, nous restons à la merci de forces incontrôlables, et nous n’avons pas d’autres choix que de nous soumettre et nous adapter.
Si on prend du recul, que donne notre petite terre vue de loin avec tous ces humains qui s’agitent ? Elle me fait penser à une fourmilière qui aurait malencontreusement reçu un coup de pied. Notre équilibre est bousculé, nos repères sont modifiés, il faut s’adapter, se réinventer une vie le temps d’une parenthèse, et laisser aller nos idéaux de réussite et de perfection. Acceptons le déséquilibre et apprenons à marcher sur un fil, soyons indulgents avec nous-mêmes et avec les autres. Nous ne pouvons pas tout contrôler et nous ne sommes pas habitués à cela. Notre espèce, pourtant si jeune et vulnérable, est parvenue à se considérer comme responsable de la marche du monde. La Terre a donné un coup de pied dans la fourmilière pour nous rappeler à l’ordre. Une petite chose invisible, microscopique, nous force à l’humilité et à accepter qu’en fin de compte, nous sommes petits, très très petits au milieu du cosmos immense.
Que va-t-il advenir du monde quand nous pourrons rouvrir la parenthèse ? Personne ne peut le dire, et la convalescence risque d’être longue, mais peut-être en sortirons-nous meilleurs, plus connectés et soudés que jamais et surtout nous saurons où est l’essentiel.

En attendant, je vous donne rendez-vous chaque jour sur Instagram (en espérant que j’arrive à tenir le rythme). Ce n’est pas grand chose, mais j’espère que cela pour apportera un petit quelque chose pour traverser cette étrange période. Prenez soin de vous, de vos enfants... Et puisque vous êtes chez vous, prenez du temps pour ranger, soigner, décorer votre maison, la rendre agréable, zen et sereine. Cette ambiance, de même qu’un rythme régulier sont deux piliers pour tenir la distance, deux pieds pour mieux tenir debout.


Pour terminer, je veux envoyer un grand merci et mes meilleures pensées positives à toutes les personnes qui sont sur le front. Mon cousin est médecin infectiologue en Italie, il est en première ligne… Je pense à lui, et à tous ceux qui, comme lui, agissent pour nous tous sans se poser de question. Je remercie aussi tous ceux qui continuent de travailler pour que chacun puisse subvenir à ses besoins essentiels.

Merci de me lire ♥️
Eve