A sense of place

Mes filles grandissent et je peux voir grandir avec elles leur besoin de s’éloigner et d’élargir leur territoire.

Quand on vit en pleine campagne, comme ce fut le cas pour moi, c’est facile de laisser ses enfants libres de s’éloigner de la maison pour explorer plus loin. Je me souviens très bien de mon enfance et de la manière dont les choses se sont passées. Cela s’est fait progressivement, naturellement. 
En même temps que l’on grandit, on s’éloigne de plus en plus, on ose aller plus loin tout seul, plus longtemps. On découvre petit à petit un environnement toujours plus large. Et ce qui est important est de pouvoir le faire en fonction de ses capacités.
Quand j'avais 11 ou 12 ans, j’aimais jouer dans la forêt avec mon amie. Nous avions décidé de construire une cabane dans un endroit caché, non visible depuis la maison, à coté d’un petit ruisseau dans les bambous. Nous y passions de longs moments à fabriquer des marches, construire un banc, monter un petit mur en pierre ou creuser un four… Nous étions dans notre monde, libres et sans la surveillance des adultes.

Quand nous sommes chez mes parents durant les vacances, je peux voir l’effet bénéfique de ce lieu de liberté pour les filles. Elles peuvent vivre leur vie sans avoir besoin de moi pour sortir. Avec leurs cousines, elles passent la plus grande partie de leur temps à jouer dans la rivière, et elles aiment aller de plus en plus loin de la maison. Là où elles sont tranquilles.
Et cette année, elles ont réussi à traverser la forêt toutes seules, malgré leur appréhension du départ, pour se rendre chez leurs cousines. Je sais qu’elles se sont senties grandies par cette nouvelle possibilité.

En ville c’est plus compliqué. Offrir la même liberté n’est pas possible.
Mais nous pouvons quand même créer un sentiment d’appartenance à notre lieu de vie en offrant des expériences diverses à nos enfants. C’est un moyen de s’y sentir bien, de pouvoir l’explorer en sécurité, de le respecter et d’y être respecté. De tels sentiments permettent de créer une attache forte avec le monde extérieur.
Pour créer et entretenir ce sentiment, la connexion avec la nature est une réponse, de même qu’une connaissance du lieu et de son histoire, ainsi qu’une relation riche et diversifiée avec les personnes qui l’habitent.

Le monde moderne n’encourage pas un enracinement, nous déménageons souvent ; nous avons de ce fait peu de temps pour établir et entretenir une relation forte avec notre lieu de vie. Nous ne le connaissons plus, nous ne connaissons pas son histoire. Ce manque de connaissance peut nous amener à vivre dans un monde ayant moins de sens, qui érode l’esprit. Si vous ne savez pas où vous êtes, vous ne savez pas qui vous êtes.
Que l’on soit en ville ou à la campagne, nous pouvons trouver du sens tout autour de nous, il suffit d’avoir des yeux pour le voir.

Si vous pouvions tous porter notre attention sur les organismes vivants qui prospèrent à nos côtés, je pense que cela nous changerait en mieux : sur le plan politique, nous deviendrions plus réalistes et plus efficaces dans nos efforts pour protéger l’environnement, et sur le plan personnel, nous serions plus remplis, plus heureux.
— Nathanael Johnson – Unseen City

Depuis que nous nous sommes installés à Lyon, j’ai beaucoup oeuvré à établir une belle connexion avec la nature et une connaissance de notre lieu de vie.
J’en parle déjà en détail dans cet article, je ne vais donc pas revenir dessus. Je vous invite à le lire. 

Chaque lieu possède des trésors de nature à découvrir pour enrichir notre relation et notre sentiment d’appartenance. De même, chaque lieu a une histoire à connaitre pour avoir le sentiment d’en faire partie. Lyon est une ville remarquable de part son histoire et les traces qu’il reste de son passé. Le vieux Lyon est incroyable, se balader dans ses ruelles est une plongée dans l'histoire. Le musée d’archéologie et les vestiges des théâtres romains sont également de beaux témoignages du passé. Lyon a aussi une histoire intéressante avec l’industrie de la soie, et les deux fleuves qui la traversent nous offrent de quoi explorer, tant sur le plan géographique qu’historique… et n’oublions pas la photographie et le cinéma.

Même si les filles ne sont pas nées ici, j’espèrent qu’elles développeront une connexion avec ce beau lieu de vie. Un réel attachement. Nous ne savons pas si nous y resteront encore longtemps car des envie de bouger nous attirent ailleurs, mais ça n’est pas pour tout de suite. Alors en attendant, développons ce sentiment d’appartenance qui nous fait du bien.

 
 

Cela passe aussi par les relations que nous développons dans notre quartier. Petit à petit, les filles acquièrent une connaissance de leur territoire car elles y tissent des liens.
Elles sont devenues amies avec les deux libraires installées en face de chez nous. Les filles sont d’ailleurs invitées à venir y lire quand elles en ont envie. Au début, un peu timides, elles n’osaient pas rester. Maintenant, elles se font un plaisir d’y aller, pour lire et aussi papoter, mais elles n’abusent pas de cette hospitalité. Quand je suis avec elles dans la librairie, je les laisse diriger la conversation, me mettant un peu en retrait, car elles sont heureuses de cette complicité qu’elles ont créé avec leurs libraires préférées.
À la rentrée de septembre, elles ont pu décorer la vitrine de la librairie à l’occasion de la dédicace d'un livre. C’est un très beau cadeau de confiance qu’elles ont reçu là, un beau partage aussi et une expérience très enrichissante et valorisante.
Pour Noël, c’est la vitrine de Mamie Marie, notre magasin de vrac, qu’elles ont eu la chance de décorer. Encore une belle aventure ! Marion et Benoit, qui tiennent la boutique, sont adorables. Je trouve que c’est important pour les enfants de rencontrer de personnes comme eux, positifs, dynamiques, qui s’investissent dans un projet avec l’envie d’accompagner l’évolution de ce monde.

Il y a aussi Yu, qui tient Kuma, un très bon restaurant japonais. Elle est devenue une amie pour les filles. Elles ont souvent un dessin à lui offrir, et reçoivent de sa part des petites surprises kawaii. Quand nous y allons, elles nous laissent et partent discuter avec elle. La barrière de l’âge n’existe pas.

Nous avons également pris part à un jardin partagé. Nous y apportons notre compost, nous faisons quelques plantations et nous rencontrons les gens du quartiers lors d’apéros qui y sont organisés.

Et pour finir, les différentes activités des filles, pratiquées dans le quartier, leur apportent également des relations nouvelles. Cette année, elles participent à La Chanterie de Lyon, une chorale qui a une antenne dans chacun des arrondissements de la ville. Elles y ont retrouvé une amie qui a pratiqué l’aïkido avec elles l’année dernière, et une copine d’école d’Émy, de moyenne section. Elles étaient hyper contentes de se revoir ! Et la Chanterie organise des week-end de travail, une fois par mois, avec tous les groupes réunis, ce qui représente 130 enfants qui chantent ensemble ! C’est une aventure extraordinaire et un partage magnifique.

La semaine prochaine, elles suivent un stage de yoga dans leur dojo et elles ont invité deux anciennes copines d’école à participer. Toutes les 4 sont restées très amies et nous essayons de les voir régulièrement. Leur année d’école dans le quartier a permis aux filles de construire des amitiés, à nous maintenant de faire en sorte d’entretenir ces liens.

Tout cela assemblé leur donne ce sentiment d’appartenance à un lieu qui est important, qui leur permet de se sentir bien là où elles vivent et en même temps de répondre à un besoin grandissant d’explorer plus largement autour d’elles.
Si elles connaissent des personnes de confiance dans le quartier, elles pourront plus facilement s’y sentir en sécurité et à l’aise pour s’y déplacer toutes seules quand le moment sera venu.
C’est rassurant pour elles, et c’est rassurant pour nous.

Émy d’ailleurs nous a demandé de pouvoir aller acheter du pain toute seule, ce qu’elle fait maintenant avec grand plaisir. Elle se fait aussi une joie s’il me manque des oeufs pour un gâteau, d’aller les chercher en face de chez nous à Ma Ferme en ville.

Les enfants, après 8 ans ont vraiment besoin de tisser un lien avec leur lieu de vie et d’agrandir progressivement leur horizon. À nous d’accompagner cela pour le rendre possible.
Nous n’en sommes qu’au début chez nous, les envies pointent leur nez et cela ne fera qu’évoluer dans les années à venir. C’est une nouvelle étape à anticiper et à apprécier. Mais déjà, nous avons tissé une toile faite de nature, d’histoire et de relations. N’est-ce pas ce qui compte le plus pour nous, les hommes ?

À une échelle bien plus grande, cela me fait penser à l’éducation Cosmique, pensée par Maria Montessori. Elle nous invite à accompagner les enfants à répondre à la question « Qui suis-je ? » bien avant leur adolescence, en explorant l’histoire de l’Univers, de la création du soleil et des planètes, de l’histoire de la Terre, de la Vie et enfin de l’Homme et des civilisations.
C’est une question très simple, mais elle est aussi une des questions métaphysique les plus profondes que nous puissions nous poser à propos de la vie et de nous-mêmes. Permettre à l’enfant de se situer ainsi dans le cosmos l’aide arriver à l’âge adulte avec une base, un guide intérieur ; un système de guidage intérieur, qui semble manger à beaucoup d’adultes aujourd’hui. 

Mais ça c’est une autre histoire, pour un prochain billet sur l’éducation cosmique. Celui-ci est déjà bien assez long.