Je veux vivre ma vie !

C’est ce que j’entends en ce moment la bouche d’Émy. « Laissez-moi vivre ! »

À l’entendre on pourrait croire qu’elle est obligée de faire ceci ou cela à longueur de journée. Mais non. Elle se lève quand elle veut ; elle peut s’habiller ou rester en pyjama ; si elle s’habille, elle choisi ses vêtements, qui sont à sa disposition dans le placard. Elle peut aller à la cuisine se servir à boire ou à manger... ou alors, elle peut jouer, lire, se recoucher… Elle est libre ! Elle peut aussi venir nous voir et se glisser dans notre lit pour un câlin.

Je crois qu’elle n’a pas conscience de cette liberté parce qu’elle est naturelle. Même si beaucoup d’enfants n’y ont pas accès, elle est la base de la vie. Pouvoir agir librement pour soi-même est essentiel, mais cela ne doit pas entrer en conflit avec les autres. C’est là toute la difficulté, surtout pour les enfants qui sont encore très centrés sur eux-mêmes et leurs besoins.

Il n’y a pas beaucoup de règles chez nous, mais il y en a, et nous essayons de les orienter le plus possible vers le « vivre ensemble ». Nous vivons tous ensemble et il appartient à chacun de se préoccuper du bien-être des autres.

Alors quand Émy crie « Laissez-moi vivre ! » parce que je lui demande de nous aider à débarrasser la table, je relativise. Ses mots sont forts et disent son envie de diriger sa vie, et elle a raison. Les enfants ne sont pas des sous-hommes, ils ont les mêmes droits (devraient avoir) que les adultes. Oui ses mots sont forts, aussi forts que son caractère. Elle ne fait jamais dans la demi-mesure. Elle est entière, vraie et décidée.

Pourtant, même si je relativise, ces mots me font réfléchir, bien entendu…
Je ne pense pas qu’il soit profitable à l’enfant de grandir sans cadre ni règles. Cependant, il faut qu’il puisse donner son avis, prendre des décisions, prendre part aux discussions familiales… Il faut un juste équilibre : de la liberté et un cadre sécurisant, celui de sa famille.

Le problème des limites ce n’est pas qu’il y en ait, mais qu’elles soient fixées uniquement par les adultes. Ce qui revient à diriger l’enfant. Les règles de la maison devraient être fixées avec les enfants, lors de discussions. Ce n’est pas toujours facile à faire, on n’y pense pas toujours, de plus c’est plus rapide d’imposer et de décider à la place de l’enfant. Mais quand on se donne le temps de se poser, de discuter et de trouver ensemble ce qui convient le mieux à tous, tout le monde y trouve son compte. Nous aussi, nous n’aimons pas quand nos besoins ne sont pas écoutés ou comblés. Nous pouvons nous sentir négligés si quelqu’un ignore nos sentiments ou nous impose une situation qui nous met mal à l’aise. C’est évidement pareil pour les enfants. Sauf qu’ils n’ont pas les moyens que nous avons pour expliquer leur ressenti et pour rectifier les choses.

Quand nous rencontrons un problème récurrent avec les filles, nous nous réunissons pour en parler. Nous écoutons ce qu’elles ont à dire et cherchons avec elles des solutions qui leur conviendraient et qui répondraient aussi à nos besoins d’adultes, et nous essayons la solution proposée. Souvent, simplement parce que la solution vient de l’enfant ou d’une discussion commune, le problème se règle de lui-même. Car finalement, l’important pour l’enfant n’est pas le choix qui est fait, mais l’acte en lui-même, le fait de pouvoir choisir !
Tout le monde a le droit d’avoir un contrôle de sa vie, d’expérimenter l’autonomie, de se savoir initiateur de ses choix.
C’est pourquoi j’écoute Émy crier et j’essaie de comprendre ce qui est en jeu.

Comment élever des enfants heureux ? N’est-ce pas ce que nous voulons tous ? Mais ce qui compte plus encore est : Comment élever des enfants concernés par le bonheur des autres ?
Nous devons aider l’enfant à se détacher de son unique intérêt personnel. Les hommes sont nés avec un cœur pour aimer, pour prendre soin des autres.
Quand les besoins de sécurité de l'enfant (attachement, respect, empathie, amour inconditionnel…) sont comblés, il n’a plus besoin de s’en préoccuper, il peut alors aller vers les autres, il est libre d’aider les autres.

Je pense qu'Émy ne doit pas trouver de réponse à un de ses besoins. J’ai ma petite idée… à vérifier !
Je vais observer un peu et discuter avec elle, car c’est toujours très constructif.

Elle m’a dit par exemple, il y a quelque jours, « Moi, mon cerveau a besoin de jouer ! » 
C’est clair non ?

Elle une très grande énergie en ce moment, qu’elle a du mal à canaliser. Elle n’arrive plus à rester assise tranquillement, concentrée sur une activité. Je crois qu’elle a un grand besoin d’être dehors, de courir, de grimper, sauter, faire du vélo, du cerf-volant…
C’est tout cela qui la rempli en ce moment. Son cerveau en effet, elle l’a bien résumé, n’est pas disponible pour les apprentissages, en tout cas pas ceux qui demandent de rester assis à lire ou écrire par exemple.

D’ailleurs elle crie aussi très fort qu’elle ne veut pas lire et pas écrire !! Je ne lui propose donc plus rien dans ce sens-là, car loin de moi l’idée de la braquer. Ça serait désastreux pour son apprentissage et surtout pour son rapport à la lecture. Car même si elle crie qu’elle ne veut pas lire, elle aime les livres, les feuilleter, observer les images, lire quelques mots ou phrases sans s’en rendre compte, elle aime écouter des histoires… et en écrire !!

En la laissant tranquille, de temps en temps... pouf ! un petit moment magique apparaît où elle se met d’elle-même à écrire. Ça dure 5 minutes, c’est plein de fautes trop mignonnes mais elle l’a fait avec plaisir et c’est ce qui compte.
Finalement elle a peut-être besoin de bouger dehors pour apprendre à lire et à écrire ! Allez savoir… Chacun fonctionne différemment et se libérer d’une contrainte (si elle le voyait comme ça), s’aérer l’esprit ne peut être qu’une bonne chose pour se relancer dans des apprentissages positifs.
Et surtout, ce n'est pas parce qu'elle est dehors à courir, grimper, construire et vivre ses aventures imaginaires qu'elle n'apprend pas.

Avant de comprendre que ce dont elle avait besoin était d’aller dehors, j’ai lutté. Proposant diverses choses à Émy, lui demandant de venir travailler avec nous… mais elle refusait toutes mes propositions, en se fâchant très fort. Je n’avais pas envie de lui imposer un travail, je n’avais pas non plus envie qu’elle passe ses journées à râler… Quand je lui disais qu’elle pouvais choisir ce qu’elle voulait, elle se fâchait aussi, car elle ne voulait rien.
Mais en fait pour choisir quelque, il faut avoir une vision claire des différentes options. C’est peut-être aussi ce qui manque à Émy. Une vision claire de ce qu’elle pourrait faire.

Je vais prolonger ma réflexion dans ce sens, et pour amorcer un début d’aide pour Émy j’ai proposé aux fille de lister dans un petit carnet les idées qu’elles ont :  de choses à faire, à étudier, à rechercher, à fabriquer, des idées de sorties… comme ça, quand elles ne savent pas quoi faire, elles peuvent consulter le carnet. L’idée a été adoptée et rapidement, elles ont commencé leur liste.
Depuis, de temps en temps, je rappelle à Émy qu’elle peut consulter sa liste d’idées. Mais c'est surtout à moi que ça donne des pistes sur leurs envies et besoins.

Et puis nous allons aller plus dehors, passer des journées au parc. Nous commençons par une semaine de montagne, puis une semaine en Corse en mai et quelques jours dans la campagne de Corrèze en juin. J’ai déjà parlé du besoin de nature, et bien que j’y fasse très attention, nous vivons en ville et nous devons être plus vigilants.

Alors, oui, je relativise quand elle crie de la laisser vivre sa vie, mais en même temps j’essaie de me mettre à sa place, de voir les choses de son point de vue. Qu’est ce que cela peut donner ?
Elle a le sentiment de ne pas pouvoir choisir. Peut-être parce que les choix qui s’offrent à elle ne sont pas adaptés… Il y a souvent des moments comme ça, dans la vie de l’enfant ; il a grandi, ses besoins changent et nous ne sommes pas à jour ! 
C’est alors le moment de se mettre à son niveau, de voir les choses à hauteur d’enfant, d’écouter les petits messages qu’il nous envoie… et avant tout lui donner le droit d’être sans lutter.

 

ps : Je sais que vous allez me demander d'où viennent ces jolis masques ;-).
C'est chez Animalesque