De la nature en ville et des enfants sauvages

Quand nous nous sommes installés à Lyon, il y a bientôt 4 ans de cela, il était impératif pour moi que nous soyons tout à côté du plus grand parc de la ville, le Parc de la Tête d’or, avec ses 117 hectares de nature…une flore et une faune qui sont une richesse pour la ville.

Nous allions vivre en appartement et quitter notre maison et son jardin... Je voyais ce parc comme une bouée de sauvetage.
D’ailleurs nous avions dans l’idée de chercher assez rapidement une maison proche de la ville. Ce que nous avons fait, nous éloignant progressivement de Lyon pour faire descendre le budget… et ne trouvant toujours pas notre bonheur. C’est que nous sommes rudement difficiles et il est clair que pour nous, l’achat d’une maison ne pourra être qu’un achat coup de coeur. Ce coup de coeur nous ne l’avons pas eu, ni pour une maison, ni pour un lieu…
Mais ce n'est pas grave car nous profitons pleinement de notre lieu de vie et entre temps Benoit a démarré un gros projet qui nous retiendra encore quelques années à Lyon (je vais faire un petit peu de pub familiale au passage pour ce projet de longue haleine qui va bientôt voir le jour : un espace de co-working, tout nouveau tout beau ! C’est ici pour les images en avant-première : @workandwall). Voilà, parenthèse pub fermée !!

Quand j’imaginais une maison, je voyais la belle nature sauvage à notre porte, mais en même temps je n'ai pas envie de devoir prendre la voiture dès qu'on veux voir des amis, participer à une activité ou simplement acheter à manger. Je sais que loin de tout, j’aurais une grande tendance à rester chez moi !
Bref, nous ne cherchons plus de maisons depuis un moment et nous sommes toujours dans l’appartement trouvé à la hâte en une semaine de visites à Lyon en vue de notre déménagement ! Nous y sommes bien et petit à petit, j’ai appris à trouver la nature en ville et à l’apprécier. Elle n’est pas à ma porte, mais elle est là quand même. Plus discrète, mais bien là.

Au début, je voyais le parc comme l’immense cour de récréation des filles, sortie obligatoire (et très agréable) pour qu’elles puissent s’aérer, jouer, courir, profiter de la nature… et être libres.
Peu à peu, le connaissant de mieux en mieux, nous nous sommes mises à observer les lieux, les plantes, les oiseaux… Cette année a marqué pour moi une nouvelle étape, vers une conscience plus aigüe de la richesse de la nature en ville.

La filles ont reçu pour noël, un abonnement au Wild explorer Club, un programme d’exploration de la nature proposé en ligne. Ce club nous a apporté un nouvel élan pour découvrir la nature cachée autour de nous, pour regarder plus en détail et surtout pour rester dans un état d’attention ouverte. C’est fou tout ce que l’on peut découvrir dans un environnement urbain, où la nature n’a pourtant pas toute sa place. Il faut regarder avec des autres yeux. Cela me fait penser à la citation de Marcel Proust : “Le véritable voyage de découverte ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages, mais à avoir de nouveaux yeux”.

Cette année, nous avons mis nos lunettes d’explorateurs pour mieux voir la nature !

Le livre “Élever un enfant sauvage en ville” a été une première porte d’entrée vers une attention plus vive portée à la nature disponible autour de nous, et surtout à la manière de transmettre à mes filles mon amour et mon intérêt. C’est un livre très intéressant, qui donne beaucoup de pistes pour connecter nos enfants à la nature et entretenir le lien. Cependant même s’il parle beaucoup du milieu urbain, ce n’est pas le sujet principal du livre, malgré le titre français. On peut d’ailleurs se demander pourquoi l’ajout de “en ville” alors que le titre original dit simplement “How to raise a wild child”. Probablement parce qu’en français, « enfant sauvage », tout seul, sans rien derrière c’était un peu trop !

L’auteur amène l’idée de “passeur de nature” que je trouve importante. Nous pouvons tous être des passeurs de nature. En revanche, il ne suffit pas d’avoir envie que nos enfants s’intéressent à la nature et en prennent soin, pour qu’ils le fassent. Il nous aussi aussi agir et nous investir à leur coté et les accompagner. Si nos actions et notre attitude de ne vont pas dans le même sens, nos mots seront vides. Transformons-nous en passeur de nature pour nos enfants pour les accompagner sur cette voie si riche.

Après cette lecture, c'est surtout la participation des filles au Wild Explorer Club qui a réellement et durablement modifié ma façon de voir la nature en ville.
Au fil des tâches, les elles ont appris à explorer une parcelle et à en dresser un plan, se repérer avec une boussole et calculer les azimuts pour arriver à une destination, examiner et étudier des spécimens inconnus trouvés lors de balade, rechercher les traces des animaux, suivre une piste…

J’ai dû accompagner les filles pour qu’elles puissent réaliser leurs tâches et j’avoue qu’au début, j’étais un peu septique sur le fait de devoir faire tout cela en ville. Mais nous nous sommes mises à explorer les coins de nature disponibles autour de nous, en profitant de plus en plus et en découvrant une grande variété animale et végétale que nous ignorions. Ce n’est que le début, je sais que nous avons encore mille choses à apprendre et à observer ! C’est très enthousiasmant.

Dernièrement, j’ai lu le livre “Unseen city, the majesty of pigeons, the discreet charm of snail, and other wonders of the urban wilderness”, de Nathanaël Jonhson (pas de traduction en français en pour le moment…). Ce livre raconte le cheminement d’un papa, qui pour répondre aux questionnements incessants de sa fille de 2 ans, cherche comment ne pas dire simplement “arbre”, “fleur”, “oiseau”… En étudiant de plus près la nature dans son environnent citadin, il a découvert une richesse qu’il était loin d’imaginer. Ce livre est sa progression, sa démarche et ses conseils pour se rapprocher de la nature en ville et la voir avec des nouveaux yeux. Elle est présente partout, elle est belle partout. Il examine en détail des êtres que nous voyons très souvent en ville sans plus y prêter attention comme les pigeons, les escargots, les écureuils et les mauvaises herbes, qui sont souvent comestibles.

Il nous conseille de prendre notes de nos observations, de dessiner ou de conserver des spécimens, de noter nos questions afin d’enrichir nos connaissances au fil de nos découvertes. Cela permet aussi de créer des ponts : les martinets qui sont revenus, d’on viennent-ils et que mangent-ils ? Où nichent-ils ? Quels sont les autres oiseaux qui reviennent à cette saison dans ma ville ? Et en général quels sont les oiseaux qui nichent dans ma ville, à part les pigeons et les moineaux ?
Cet état d’attention ouverte nous a d'abord dirigées vers les oiseaux, vous vous en doutez ! Un sujet qui nous fascine toutes les trois. Et c’est fou ce que nous avons fait comme découvertes en peu de temps, rien qu’en observant mieux et en étant réceptives.

Liv en a déjà parlé ici dans son billet sur les oiseaux. C’est merveilleux d’observer ces créations parfaites de la nature. Au parc, que nous connaissons pourtant bien, nous avons ajouté quelques espèces à notre liste : un pic vert, un grimpereau des jardins, une mésange à longue queue et une mésange huppée, une sittelle torchepot, un martin-pêcheur, une nette-rousse… et il y a tous ceux que avions déjà vu : merle noir, pie bavarde, moineaux domestique, mésange charbonnière et mésange bleue, troglodyte mignon, chardonneret élégant, héron cendré, aigrette garzette, grand cormoran, grèbe huppé, mouette rieuse, canard colvert, oie cendrée, corbeaux, rouge-gorge, étourneau sansonnet …
Ça fait déjà une belle diversité, et j'en oublie certainement !

J’ai vraiment le sentiment que notre relation avec la nature, celle de notre ville – ou celle des Alpes où nous allons souvent – a pris une nouvelle profondeur et un nouveau chemin. Mais cela demande de s’investir dans cette relation, de la chérir et la nourrir, de lui apporter de la matière.

Ce qui est génial aussi est tous les ponts que l’on peut faire entre les éléments. Nous avons commencé à observer les abeilles au travail, les pattes chargées de pollen, butinant le nectar. Liv a remarqué les fleurs qui attiraient le plus les abeilles (les pissenlits en l’occurence par rapport à d’autres fleurs violettes encore non identifiées). Nous avons observé les paquets de pollen agglutinés à leur pattes, c’est incroyable tout ce qu’une si petite abeille peut transporter ! Ces abeilles travailleuses nous amènent immanquablement à parler de la pollinisation et à observer les parties d’une fleur pour comprendre qu’elle a besoin d’une aide pour sa reproduction. Nous avons également abordé la question des pesticides qui tuent les abeilles, les dévient de leur route ou les rendent malades. Il faut aider les abeilles et même en ville des initiatives de ruches se développent. Les filles ont envie de fabriquer un hôtel à insectes à installer au jardin partagé. C’est une bonne idée !

Petit à petit au fil des questions notre regard s’affine et je vois les filles très attentives à la nature autour d’elles. Elles sont toujours partantes pour partir « à l’aventure » comme elles disent ! Grâce à l’une des tâches de leur club nous avons été attentives aux indices laissés par les animaux : empreintes, excréments, poils ou plumes, nids, branches cassées… Les filles étaient très émues de trouver des empreintes de castors, des troncs rongés en pointe et leur nid, avec le trou d’aération sur le dessus !  Et cela en pleine ville !

Au chalet ce printemps nous avons observé 3 couples d’oiseaux faire leurs nids, dont deux qui étaient logés sur la maison : des rouge-queues ont fait leur nid simplement posé sur une grosse poutre sous le toit, et des grimpereaux se sont enfilés entre les bardeaux de bois qui recouvrent la façade. Un nid impossible à trouver sans prendre le temps d’observer leur manège incessant. Comme ils m'avaient repérée ils ont mis du temps à y retourner. Il a fallu que je reste-là immobile pendant un long moment afin de découvrir l’emplacement de leur nid !

Les oiseaux s’adaptent bien à la vie proche des hommes, et même certaines espèces comme les pigeons en sont devenus dépendants. De même les hirondelles de fenêtres et les martinets nichent essentiellement sur les bâtiments. Leur habitat est intimement lié au nôtre.

Finalement, en ville, comme le dit le titre français du livre de Scott Sampson, nous pouvons élever des enfants sauvages. Mais qu’est ce que ça veut dire ? Il me semble que wild et sauvage n’ont pas tout à fait le même sens dans les deux langues. Wild n’a pas, je crois, la connotation légèrement négative du français. J’ai le sentiment qu’en France un enfant sauvage est un enfant sans éducation ou mal élevé, dont on ne s’occupe pas, qui aurait peur des autres. Une idée plutôt négative en quelque sorte. Alors qu’en anglais, a wild child, est un enfant qui n’a pas peur justement, qui ose explorer, partir à l’aventure, qui aime être dehors toute la journée, quelque soit le temps. N’étant pas parfaitement anglophone je me trompe peut-être, mais j’ai le sentiment que ces versions reflètent la vision de l’enfant dominante dans ces deux sociétés. 
Ici, il semble que nous avons peur du côté sauvage de l’enfant ; la peur que sans un contrôle permanent, une évaluation permanente et la menace permanente d’une punition, ils deviendra sauvage, ne parviendra pas à apprendre, deviendra asocial, formera un adulte démuni et incompétent.

Mais cette vision ne prend pas en compte la puissance de l’esprit libre et dissident de l’enfant. Son esprit est sauvage et volontaire ; il ne peut être forcé ! Tel un escargot qui sort de sa coquille, il se rétracte et se ferme dès qu’il est menacé ou obligé. C’est très fort chez Liv, qui peut se fermer facilement. Je crois voir un escargot, en l’observant ! Elle se rétracte dès que ça ne lui plait pas.
Chez Émy c’est plutôt l’explosion. Elle dit non haut et fort. Mais le message est le même pour les deux : mon esprit ne veut pas être forcé ni dirigé !  L’esprit doit tourner son attention vers le monde de lui-même, s’ouvrir, chercher, explorer, créer ses propres connexions.

C’est précisément l’état d’attention ouverte, de curiosité, de liberté, de collaboration, de consentement, qui est la condition nécessaire pour tout véritable apprentissage, pour toutes véritables découvertes et création. Un esprit libre et créatif, voici ce que j'aime voir se développer chez mes filles !

J'écris ce billet alors que nous sommes en Corse, en pleine nature sauvage. Les filles sont dehors, je ne les surveille pas. Elles connaissent les lieux et jouent au bord de la rivière ou dans la forêt. Elles sont maintenant en train d'écorcer des branches pour se faire des flèches car je leur ai fabriqué des arcs.
Il est évident qu'elles ne peuvent pas jouir de cette liberté en ville, sans aucune surveillance d'un adulte. Même si je les laisse le plus possible vaquer à leurs occupations quand nous sommes au parc, elles n'ont pas le droit de couper des branches et je tiens à savoir où elles sont. Alors nous nous évadons souvent au chalet, dans les Alpes, ou en Corse, où nous savons qu'elles peuvent évoluer librement sans surveillance.
Pour les vacances, nous sommes souvent tentés d'aller visiter une ville, ses ruelles, ses cafés et ses musées, mais nous devons aussi prévoir des temps de nature pour les filles, des moments soupapes, nécessaires pour grandir et se découvrir, loin du regard des adultes.
Émy, la plus sauvage des deux, a profondément besoin de ces moments de liberté totale dans la nature. Si elle pouvait passer ses journées dans la forêt, je suis sûre qu'elle ne dirait pas non !
Encore une fois, c'est une histoire d'équilibre.

 

PS : Liv a souhaité écrire un billet sur le Wild Explorer Club, qu'elle apprécie beaucoup. C'est dans “le coin de Liv".